LIBRES OPINIONS
Des extraits de ces article explosif ont déjà paru dans la revue " Icare ". M. Gabriel Voisin expose avec véhémence et sa verve coutumière ses vues sur la technique aéronautique. Evidemment, son point de vue n'engage que lui, mais quelle fougue chez cet homme qui a tant créé. La verdeur de l'ensemble excuse certaines outrances, et nous espérons que vous prendrez comme nous un vif plaisir à la lecture de ce pamphlet.
J. LASSERRE, Pilote de Ligne.
J'ai 81 ans.Je suis le doyen indiscutable de tous les techniciens de l'aviation.
Mes pieds ont quitté la terre, à bord d'un planeur, pour la première fois en 1898. J'ai conçu et construit l'avion qui exécuta " officiellement " le premier kilomètre en circuit fermé, le 13 janvier 1908.
Ce même avion exécutait, le 30 octobre 1908, le premier voyage de ville à ville : Châlons-Reims.
C'est sur un Voisin que Frantz remporta, le 5 octobre 1914, la première de toutes les victoires aériennes.
Ces faits me confèrent un paternalisme dont je vais abuser avec vigueur.
Pour la plupart des passagers, le premier contact avec un avion de ligne moderne à l'arrêt est très impressionnant. Les formes en sont parfaitement dessinées, les mécanismes apparents respirent la solidité.
" L'échelle " générale de cette très belle construction est harmonieuse. En un mot, l'avion " moderne " ne peut inspirer que la confiance.
Cette confiance n'est pas trop ébranlée par l'escalier amovible qu'un tracteur amène au moment de l'embarquement.
Mais si parmi les passagers il se trouve un "esprit chagrin", non conformiste, cet esprit, évidemment condamnable, et d'ailleurs condamné, ne peut pas s'empêcher de faire une première observation :
Pourquoi " le technicien " de cet avion n'a-t-il pas abaissé l'ensemble de sa machine, de façon à faciliter l'accès, et, ce qui est plus grave, l'évacuation en cas d'accident, même insignifiant.
Cet escalier, en effet, demeure sur le sol de l'aérogare, et, dès cet instant, les accès de l'avion deviennent difficiles, parce que beaucoup trop hauts par rapport au sol.
L'embarquement " par échelle " date des diligences. En effet, au-dessus de la caisse, aménagées en avant des bagages, quelques places de voyageurs étaient prévue dominant l’ensemble, et pour accéder à ces places, on appliquait une échelle sur le côté de la voiture. Mais nos grands-pères, beaucoup moins négligents que nos techniciens de " l'avion moderne ", n'abandonnaient pas les occupants haut placés entre ciel et terre. L'échelle, après usage, était en effet accrochée sur l'une des parois, de la caisse, et voyageait avec l'usager.
Enfin, les autobus "à impériale " transportent leur escalier d'accès.
Le passager " non conformiste " rumine évidemment cette disposition, et, de ses ruminations, il tire une autre conclusion.
Si l'ensemble était abaissé, ce châssis muni de " peu de roues ", merveille d'ingéniosité, qui se plie et se déplie, se verrouille et se déverrouille, actionné par des mécanismes sataniques, deviendrait un dispositif presque rudimentaire, facile à monter et à descendre, à roues multiples, peu chargées et presque à poste fixe, ce qui permettrait très économiquement le déplacement " autonome " de " l'avion moderne " avec un très petit moteur, très " ordinaire ", actionnant les roues, ce qui serait infiniment plus léger que le combustible consommé par un "jet" pour gagner la piste de départ.
Cette disposition éviterait l'accident survenu en mai 1961, dont nous reproduisons ici la très étonnante, mais très évidente description,:
Paris-Presse-l'Intran, 23 mai 1961 :
A Orly : Camionnette contre Caravelle. L'hôtesse est blessée.
Une camionnette a heurté au début de l'après-midi à Orly, une Caravelle d'Air Algérie stationnée sur l'aire de départ. C'est le souffle des réacteurs d'un Boeing qui a projeté la camionnette contre l'avion dont le fuselage a été endommagé.
L'hôtesse de bord, Mlle Denise Moreat, qui se tenait à la porte de l'appareil, a été légèrement contusionnée.
Les passagers ont dû s'embarquer pour Oran sur d'autres avions. Cette même Caravelle avait été heurtée en plein vol, il y a un an, par un avion de tourisme : 25 passagers avaient été blessés ; l'un d'eux devait succomber le lendemain.
Cette simplification du châssis d'atterrissage," aurait un autre avantage.
Il éviterait aux gazettes la rédaction maintenant coutumière que nous condenserons :
" Le train d'atterrissage, se refusant' à sortir à l'approche du terrain d'atterrissage, l'avion de " Tutulesandouilles " a dû tourner pendant deux heures au-dessus de l'aéroport pour consommer sa réserve de combustible, ce qui permit aux services de secours la préparation des ambulances et des appareils à mousse carbonique, alertés pour combattre l'incendie qui suit souvent un atterrissage difficile. "
Quand le châssis refuse de sortir de sa cachette à l'atterrissage le mal peut se combattre, non sans danger.
Mais quand le châssis refuse de rentrer dans sa cachette au départ de l'avion, les choses se compliquent. En effet, beaucoup de " Jets " sont absolument incapables d'atterrir à pleine charge, ce qui est une " énormité " absolument incroyable. Mais nous sommes avaleurs de grenouilles ", même quand ces grenouilles sont d'une dimension inaccoutumée.
Il leur faut donc, ou tourner six ou huit heures en décrivant des cercles qui sont un terrible danger pour les malheureux qui s'efforcent " d'inscrire " ce voyage imprévu dans une exploitation surencombrée, ou lâcher sur la campagne environnante plusieurs tonnes de combustible, ce qui représente un désastre économique, des manœuvres difficiles et redoutables, etc.Où sont les responsables de ces situations absolument inacceptables ? La réponse est, hélas, à peu près inévitable : ce sont les techniciens créateurs de cette machine, dans laquelle les routines ou les facilités sont acceptées sans sourciller.
Mais le " passager non conformiste " est maintenant assis dans un fauteuil confortable, et chaque geste du personnel est fait pour combattre son esprit critique.
Les moteurs ou les réacteurs de l'avion sont mis en route, ceci très souvent face à la gare d'embarquement.
L'avion roule alors cahin-caha, et le roulement cahin-caha d'une machine de plus de cent tonnes est fort impressionnant pour un technicien du transport. Avec de petits soubresauts, avec des flexions impressionnantes de la voilure qui porte le train d'atterrissage ! L'avion arrive enfin sur la piste d'envol.
Cette piste est un désert de cent mètres de largeur, et de quatre ou cinq mille mètres de long.
" Le passager non conformiste " qu'on a ceinturé sur son assise comprend difficilement les raisons de cette immensité.
Et, s'il est renseigné par un tiers, il apprend alors que les kilomètres de ciment sont destinés en partie à l'envol, mais surtout à l'atterrissage, opération qui demeure le souci numéro un de l'équipage. Car, si le contrôle des mouvements sur un aérodrome est maintenant à la limite de la perfection, si le vol est souvent assuré par un "pilote automatique" à peu près implacable dans ses corrections, et immédiat dans ses réflexes, l'atterrissage d'une masse de plus de cent mille kilogrammes à des vitesses qui s'inscrivent autour de deux cents kilomètres à l'heure, est une sorte de cataclysme auquel il vaut mieux ne pas penser.
Et, cependant, me dira-t-on, le nombre des passagers augmente de jour en jour sur nos lignes aériennes, ce qui démontre clairement que la confiance de ces voyageurs est intacte.
On peut répondre par un argument qui n'est pas assez souvent développé.
En dehors des sécurités techniques données par les progrès scientifiques récents, et par l'organisation à peu près infaillible de l'infrastructure, un point demeure inquiétant dans notre navigation aérienne par machines volantes.
Nos avions dits " modernes " sont tous courbés sous une menace implacable.
Tout ralentissement dans l'espace amène un " dénivellement " de la machine dont il est impossible d'arrêter la progression sans courir des dangers immédiats,
Or, c'est cette situation qui est exploitée au moment très difficile de l'atterrissage.
En un mot, seule une habileté exceptionnelle, habileté commandée par les réflexes du commandant, et par une attention désespérée du personnel qui l'entoure, peut permettre cette acrobatie de l'atterrissage réussi dans les conditions imposées par les techniciens responsables de l'aéronautique. Ne l'oublions pas, les cataclysmes se reproduisent quatre-vingts fois sur cent avec une similitude frappante.
Enfin, les roues garnies de pneumatiques de nos avions dits " modernes ", roues qu'il faudrait multiplier, ce qui ne se peut pas, car il deviendrait à peu près impossible de les replier, ces roues sont gonflées à des pressions qui, si elles étaient connues du public utilisant le véhicule automobile, provoqueraient certainement des réactions, car ces pressions transforment en accident grave le contact accidentel d'un corps étranger, amené sur la piste à la suite d'innombrables incidents.
Ce corps étranger peut être de formes et de dimensions très différentes. Un écrou, un boulon, un caillou, une pièce métallique infime peuvent produire un éclatement, car cet écrou, cette pièce métallique infime, immobilisés sur la piste, sont en réalité transformés en projectiles par les vitesses relatives.
Trois cents kilomètres à l'heure, vitesse d'approche d'un avion qui vole à 900 kilomètres à l'heure, représente sur le sol une vitesse de 85 mètres seconde, et cette vitesse est, à peu de chose près, la vitesse d'un projectile de pistolet automatique de petit calibre.
Or, l'éclatement d'un pneumatique à l'atterrissage peut amener une giration de toute la machine autour de la partie du train accidenté, giration qui se termine généralement par un accident quelconque.
"Nos techniciens éclairés" de l'aéronautique veulent en effet ignorer qu'un châssis ne peut être que " MONOTRACE " et que la trace en question ne peut que coïncider avec l'axe général de l'avionLe " passager non conformiste ", s'il se trouve dans un quelconque avion de ligne, peut être placé à la hauteur du système propulseur, et, s'il réfléchit un instant à cette disposition, il se demande comment un technicien peut envisager l'emplacement de cette usine de flammes, aménagée.
AU MILIEU DES RESERVOIRS DE COMBUSTIBLE !
Car, dans un avion dit " classique ", c'est-à-dire rigoureusement inspiré du BLERIOT de 1909, le combustible est logé dans l'épaisseur des ailes, et dans des réservoirs d'une telle complexité que, sous un choc de faible importance, l'un des réservoirs (ou plusieurs d'entre eux) éclate, ou simplement détérioré, laisse échapper (à l'intérieur) de l'aile, deux ou trois cents litres d'essence ou de kérosène qui, s'écoulant dans le revêtement de l'aile, s'enflamment immédiatement au contact des moteurs ou des réacteurs.
Le drame ne dure que quelques secondes, mais ces secondes doivent paraître longues aux malheureux ficelés dans leurs sièges, et dans l'impossibilité d'abandonner la carlingue " encastrée " dans l'explosion générale.
Les passagers sont souvent "rassurés" - un haut parleur a demandé au moment de l'atterrissage : L'EXTINCTION DES CIGARETTES !
Il semble d'ailleurs que notre expérience, nos prévisions peuvent être dépassées par les événements.
En février 1961, un transport intercontinental à réaction terminait sa carrière au moment de son envol parce que quelques étourneaux étaient passés dans l'ouverture béante et prête à tout recevoir de ses réacteurs.
Cet avion, a-t-on déclaré dans la presse, avait subi des essais de réception draconiens, qui se terminaient en projetant, à l'aide d'un canon, sur certaines parties de la machine des " poulets " figurant une rencontre possible en vol avec un oiseau d'assez fortes dimensions.
Un mouchoir de poche passant dans l'un des réacteurs " en marche, à plein gaz " aurait peut-être révélé des dangers insoupçonnés. En tout cas, si l'un des " poulets " projetés sur la machine avait eu la fantaisie facile d'entrer dans un réacteur, on aurait à coup sûr appris beaucoup de choses sur la façon de découper une volaille.
L'essai statique est un essai absolument indispensable. Nous lui devons de très belles constructions. Mais l'essai statique n'est que statique et laisse dans l'oubli des situations qui ne peuvent être révélées que par un essai dynamique.En voici un exemple : en 1960, une Caravelle entre en collision avec un avion de tourisme. La collision est d'une gravité exceptionnelle, puisque toute la partie supérieure de la carlingue de notre Caravelle est emportée par le choc.
Voici les phases du drame : La Caravelle fait 800 km/h. L'avion de tourisme 250. La collision se produit donc à plus de 1.000 km/h, c'est-à-dire à une vitesse où il est absolument et strictement impossible d'exécuter une manœuvre imprévue. La vitesse de rapprochement dépassant trois cents mètres à la seconde !Les réacteurs de la Caravelle sont arrêtés. Le commandant... envoie son second aux informations. Ce jeune officier jette un coup d’œil dans la carlingue où le désordre est à son comble et revient à l'avant. Il dit alors à son commandant: " Nous volons en décapotable ". On a couronné beaucoup de héros pour des réponses infiniment moins françaises.L'esprit de cette déclaration apporte une note d'optimisme dans l'avion, et le commandant donne à son chef-mécanicien l'ordre de tenter la mise en route des réacteurs.
Le réacteur de gauche démarre et fonctionne normalement. Le réacteur de droite est inutilisable.
Sur son seul réacteur de gauche la Caravelle démantelée termine son vol, atterrit sans incident. Des passagers sont blessés, mais cette collision qui se serait terminée par une explosion générale dans la plupart de nos avions de ligne, va nous permettre de tirer un certain nombre de conclusions.
Dès que l'équipage peut le faire, il saute sur le sol et vérifie le réacteur de droite immobilisé.
L'UNE DES ROUES DE L'AVION DE TOURISME AUTEUR DE LA COLLISION EST ENTREE DANS LE REACTEUR ! et bloque irrémédiablement tout le mécanisme.
Un technicien particulièrement ombrageux aurait pu prévoir l'entrée dans un réacteur d'un oiseau de poids et de dimensions inusités. Mais comment imaginer qu'une roue d'avion, munie de son pneumatique et de toute son armature métallique pouvait par un hasard absolument diabolique se loger dans le mécanisme propulseur placé à l'arrière et relativement protégé ?
Il est techniquement des accidents absolument imprévisibles.
Nous avons cependant le droit de rapprocher cet "incident" de la Caravelle, et le drame du " jet " aux étourneaux.
Pourquoi le transcontinental s'est il effondré au contact de quelques bestioles d'un poids et d'un volume insignifiantes? Et pourquoi la Caravelle s'est elle tirée sans drame d'une roue d'avion qui s'est introduite à 1.000 kilomètres à l'heure dans l'un de ses réacteurs ?La réponse est simple : Le " Jet " des étourneaux était un quadriréacteur d'un type dit " classique " et ses quatre réacteurs étaient disposés le long de ses ailes, suivant une " coutume " bien connue.Les réacteurs de l'extérieur se trouvaient donc à une assez grande distance du centre de la machine.
Les étourneaux sont entrés dans le réacteur gauche extérieur de l'avion et ce réacteur s'est immédiatement immobilisé.
La machine quittait le sol à pleine charge, et ses quatre réacteurs lui étaient nécessaires, indispensables au moment du décollage qui s'était produit en bout de piste.
Privé de 25 % de sa puissance à gauche, et freiné par le réacteur immobilisé, l'avion a esquissé un virage à gauche malgré les efforts du pilote, et l'avion vint enfin s'abattre dans un marécage voisin.
La Caravelle, il est vrai, n'était pas en plein décollage au moment où elle allait entrer en collision avec l'avion de tourisme.
Mais, entre une douzaine de très petits oiseaux et une construction mécanique semblable à celle d'un avion de tourisme, on nous accordera qu'il ne peut pas être question de " rapprochement ".
Au surplus, le transcontinental aux étourneaux n'avait été privé que de 25 % de sa puissance motrice, alors que notre Caravelle ne disposait plus que de " la moitié," de sa propulsion.
La carlingue de la Caravelle fut coupée en deux dans le sens de la longueur. Les matériaux libérés de la carlingue et ceux de l'avion de tourisme, libérés par la collision, passèrent à travers tout l'empennage, à près de 1.000 kilomètres à l'heure, sans que les gouvernes aient par trop souffert de cette avalanche de projectiles.Quant au déséquilibre dû à la suppression de la moitié de la puissance motrice, IL NE POUVAIT RIEN SE PRODUIRE D'ANORMAL, parce que les réacteurs de la Caravelle, rapprochés de l'axe de l'ensemble et légèrement inclinés, poussent leur machine PAR LE CENTRE DE L'APPAREIL, ce qui ne modifie rien dans la direction et dans l'équilibre de notre avion quand un réacteur cesse de fonctionner.
En un mot, nous avons eu, en étudiant ces deux dramatiques aventures, l'occasion de tirer des conclusions certaines :
A) Une construction doit être un ensemble homogène, et non un assemblage même ingénieux de solutions disparates.
B) Une disposition intelligente de la propulsion, disposition échappant aux règles soi-disant " classiques ", donne à une machine la sécurité presque absolue au moment de l'arrêt ou volontaire ou accidentel d'une partie du mécanisme propulseur.
" Le passager non conformiste " ne peut pas ne pas enregistrer une démonstration pratique aussi claire, et " le passager non conformiste," persistant dans son erreur ne tardera pas à raisonner d'autres cas que nous allons exposer.
Paul Valéry a, paraît-il, proposé un dilemme tragique : "Que se passerait-il si les hommes apprenaient avec certitude que le sang d'un enfant peut guérir un cancer ? "
Je suis personnellement " un mauvais esprit ". Mon opinion est par conséquent entachée de tous les travers, mais je puis répondre à Paul Valéry : " Le sang de l'enfant, pris dans l'entourage ou même dans la région habitée par le malade, ne peut être que difficilement envisagé. "
" Mais le sang d'un " enfant pauvre " chèrement acheté au sein d'une famille miséreuse des îles de la Sonde, garnirait les officines spécialisées dans ce traitement. "
Je serais profondément bouleversé par l'assurance évidente de mon erreur, et cette erreur, je voudrais pouvoir la payer par une éternelle damnation.
Malheureusement, en la " déformant" un peu, la proposition de Valéry est constamment mise en question.
En mai 1961, l'avion Brazzaville Paris s'est écrasé dans le Sahara. L'accident d'ailleurs connu s'est produit avec une soudaineté tragique. Le Brazzaville Paris a, paraît-il, éclaté dans l'espace, sans disposer d'une seconde pour un message.On a pu voir dans la presse les images de la fin du cataclysme.Les soixante-dix occupants de la machine sont représentés par soixante-dix petits tas charbonneux, disposés en quinconce sur le sable du désert.
Le grand oiseau a été liquéfié par l'incendie.
L'accident demeure, paraît-il, inexpliqué comme tant d'autres, dans des circonstances identiques.
Il existe cependant des règles du bon sens qui ne recommandent pas quatre hélices, pouvant se mettre accidentellement en survitesse, ceci au centre de l'appareil. Ces hélices peuvent en effet lâcher leur pales et couper l'avion en deux moitiés. Un hydravion français, muni de six moteurs placés dans des conditions identiques à celles du Brazzaville Paris a, autrefois, perdu les pales d'un de ses propulseurs. Ces pales ont pu couper la coque de l'hydravion, puis blesser mortellement des passagers qui se trouvaient dans " la ligne de tir ".Par un miracle, la machine a pu atterrir. Les experts ont pu tout à leur aise tirer des conclusions formelles de cet accident.Or, quel a été le sort des six hydravions semblables ? Conservés en service "ils ont disparu sans avoir signalé quoi que ce soit. " Le rapprochement est facile.
En résumé, quelle mesure a ton prise en face d'un drame qui doit se renouveler ? A-t-on retiré de la circulation ce type d'avion qui disparaît sans explication ?
Ici se pose le dilemme de Valéry au sujet du sang d'un enfant capable de guérir le cancer.
Au moment précis où le Brazzaville-Paris s'enfonçait dans le sol du désert, au milieu des flammes qui allaient détruire les espérances de tant d'hommes qui s'étaient confiés au "talent" des techniciens, ces inconscients traçaient posément leurs machines périmées dont ils doivent connaître l'âme secrète.
A la suite d'une tentative biologique italienne récente qui semble avoir permis la culture "in vitro " d'un embryon humain âgé de soixante jours, nous avons pu lire dans la presse les déclarations des " savants " les plus sérieux du monde.
En dehors des discussions concernant l'expérience elle-même, une majorité s'est groupée autour d'une déclaration dont voici les termes : " A-t-on le droit de disposer d'un embryon humain, même âgé de 60 jours ? "
Et Rostand, l'un de nos célèbres biologistes, a dit : "pour moi, la vie humaine est chose absolument sacrée."
Quand les hommes auront cessé de vivre à l'image des animaux et des insectes qui se dévorent entre eux, cette vérité première prendra peut-être la forme d'une religion.Or, il semble que nos " créateurs " de machines volantes commerciales sont loin de cette loi morale dont la noblesse aurait dû les frapper depuis longtemps.
Il est très difficile de démontrer l'évidence. Je vais cependant risquer une tentative désespérée.
En premier lieu, et pour comprendre clairement ce qui va suivre, il est un fait dont il faut être " pénétré " :
" La création originale, c'est voir, concevoir et construire ce qui n'existe pas encore. "
Cet énoncé semble clair. Il lui manque cependant quelques mots pour être " illustré ".
Nous dirons par exemple : " Une série de hasards ou de dons à peu près inhumains peut seule permettre " la création " originale. "En aéronautique, depuis soixante-dix ans, c'est-à-dire depuis l'EOLE d'ADER, cinq créations originales ont fait vivre toute l'aéronautique mondiale. Ces créations sont, dans l'ordre alphabétique :
L'EOLE D'ADER, premier décollage 1890.
LE BLERIOT XI, traversée de la Manche 1909.
LE CHANUTE, qui a inspiré le Wright 1903.
LE FABRE, premier de tous les hydravions 1909.
LE VOISIN, premier kilomètre circuit fermé 1907.
LE VOISIN, premier voyage de ville à ville 1907.
De ces créations, toutes différentes et originales, une seule allait vraiment dominer la construction de tous les avions de ligne en service de 1920 à nos jours, c'est-à-dire pendant quarante ans. Cette machine est LE BLERIOT de 1909, monoplan dont les dispositions sont connues.
Cependant, la CARAVELLE, inspirée à la fois du BLERIOT XI et du FABRE, allait échapper à cette affirmation.
Le BLERIOT de la traversée de la Manche était constitué par en allant de l'avant à l'arrière
Le plus moderne de nos "Jets" transcontinentaux est dérivé de ces dispositions, et ses surfaces calquées, puis superposées à une échelle convenable permettent la confrontation, et permettent cette incroyable situation : la transmission d'erreurs dangereuses malgré un incroyable développement des moyens d'investigation.
Les COMET, les BOEING, les successifs CONSTELLATIONS, les DC 3, les DC 4, les DC 8, les VISCOUNT, etc., tous ces avions n'ont subi que des améliorations aérodynamiques ou des aménagements de propulsion qui devaient passer en quarante ans de vingt à cent mille chevaux.
Voici cinq machines dont l'une est le dernier mot de la technique américaine : le réservoir volant. Or, la première machine de ces cinq images est un BLERIOT. Les autres sont des appareils issus du BLERIOT de la Manche, y compris le réservoir volant lui aussi, comme tous les avions " modernes ", inspiré du BLERIOT et constitué par un fuselage ou carlingue placée au centre, et en allant de l'avant à l'arrière, moteurs, ailes et empennages.Quant au châssis d'atterrissage, la nécessité de " l'éclipser " pendant le vol allait conduire nos " plagiaires " à des compromis ruineux, dangereux, capricieux, en un mot infiniment discutables.
Le " repliement " allait rendre difficiles les roues multiples et la charge unitaire des pneumatiques allait grandir, au point d'être un danger constant.
Aucune création originale, aucune manifestation du génie humain n'allait résoudre certains problèmes majeurs qui sont attachés aux "péchés originels" du glorieux Blériot de la traversée de la Manche.
Le vice congénital du Blériot, à peine connu, est oublié. Des générations d'équipages s'en sont " accommodées " et l'apparition des formules nouvelles qui vont être " LA FORMULE FABRE " seront certainement discutées avec âpreté au moment où cette disposition balaiera nos anciennes erreurs.
Voici l'hydro-aéroplane de Fabre, actionné par un moteur Gnome de 50 chevaux. Cet appareil était une conception absolument originale dans son ensemble et dans les détails. C'est vers cette solution effleurée par Blériot en 1907 que vont évoluer les machines futures. Ce vice du Blériot, qui est d'une gravité exceptionnelle est cependant facile à contrôler. La disposition du plan principal à l'avant, et la disposition des gouvernes à l'arrière, donne une machine que l'on CHARGE pour la faire monter et qu'on allège pour la faire descendre, ce qui est d'une incroyable stupidité.
Au surplus, le BLERIOT XI est frappé d'une tare absolument terrible. Cette tare c'est la " perte de vitesse ", situation mortelle quand elle se produit à petite altitude et que, seule, l'habileté du pilote et son attention constante peuvent combattre.
Tous les avions qui portent leurs gouvernes à l'arrière, et ceci sans exception, quel que soit leur poids, quelles que soient leurs dimensions, quelle que soit leur puissance, sont constamment menacés par la perte de vitesse, et nous vivons sans cesse menacés, mais " accommodés " comme un cycliste s'est définitivement accommodé de l'instabilité incroyable de sa machine. Nous avons eu une confirmation douloureuse de cette position dans l'accident récemment survenu à un " Jet " transcontinental qui s'apprêtait à atterrir à Bruxelles en Belgique. A la suite d'un incident de commande dans son gouvernail d'altitude, incident qui condamne toute technique basée sur des "facilités", l'avion de Bruxelles a exécuté une série de cercles, puis une " chandelle " qui s'est terminée par une perte de vitesse et par la plongée verticale qui suit inexorablement cet accident.
Il semble cependant que ce type de machine ait atteint les limites de ses désastres.
Il est possible que des ignorants, dangereux criminels, tracent encore des BLERIOT " accommodés " et que ces " techniciens " prennent pour des vérités les petits communiqués à la presse qu'ils paient sans vergogne. Mais toutes les firmes d'aviation vraiment dignes de ce nom ont mis à l'étude, puis en soufflerie, leurs avions futurs - et tous, sans exception, sont des " FABRE " qu'on appelle des " canards " on se demande pourquoi.
Le " FABRE " est un avion dont le centrage diffère totalement du centrage BLERIOT.La surface principale est à l'arrière et non à l'avant. Les gouvernes sont à l'avant et non à l'arrière.L'équilibre longitudinal de cette machine est rigoureusement automatique et la perte de vitesse NE PEUT PLUS SE PRODUIRE. Voilà pourquoi.
Le plan horizontal avant, plus petit que la surface principale qui se trouve à l'arrière, est plus chargé au mètre carré que la surface principale arrière.
Quand la vitesse de la machine diminue, ce petit plan avant, plus chargé que la surface principale, descend automatiquement, diminuant l’angle de la surface arrière, ce qui rend tout cabrage intempestif absolument impossible.
En termes techniques simplifiés, le FABRE est un avion dans lequel le plan avant atteint son CZ maxi AVANT que ce CZ ne soit atteint par la surface principale. De cette formule, découlent des avantages qu'il est inutile de discuter.
Tout le groupe propulseur est à l'extrême-arrière, étroitement rassemblé près de l'axe général.
L'empattement du châssis prend une importance considérable, et la machine peut être "cabrée" au moment d'un atterrissage sous des angles inusités, interdits à nos " BLERIOT " " modernisés ".
La Société CONVAIR (Amérique) nous annonce un " FABRE ", pour 1970. Cet avion réunirait Paris à New York en 70 minutes avec 130 passagers à bord.
Cette date de 1970 est une pantalonnade commerciale destinée à couvrir les ventes de machines absolument périmées qui vont "engrosser" nos flottes aériennes pendant que la construction américaine prépare l'entrée en ligne d'unités exceptionnelles.
Le " FABRE " de Convair a terminé ses essais de soufflerie en janvier 1960. Le prototype est en voie d'achèvement. Il volera en 1961 et la fabrication des nouvelles machines sera immédiatement démarrée.
Et, maintenant, analysons la création qui nous est proposée.
Le " FABRE " que nous utiliserons demain est, comme nous l'avons vu, une machine automatiquement stable. Mais cette machine présente d'autres avantages. Parmi ces avantages, on voit immédiatement que la position des centres est en dehors des surfaces portantes et des gouvernes.
Il est donc possible de prévoir à cet endroit précis n'importe quel dispositif de réacteur ou de fusée qui permettrait, agissant sous un angle choisi, le départ ou l'atterrissage à des vitesses qu'il est impossible d'espérer économiquement sur tout autre type de machine.
Le groupe propulseur en entier peut d'ailleurs occuper une place coïncidant avec les centres. Ce groupe peut être incliné sans grande complication et le fonctionnement de ce dispositif serait d'une exceptionnelle sécurité.
La position des roues des châssis avant et arrière devient telle que l'empattement de l'ensemble peut permettre une longueur inusitée, qui n'a aucun rapport avec les trains des machines dites " classiques " inspirées du BLERIOT XI coutumier des " chevaux de bois " bien connus.
Le " FABRE " peut donc s'accommoder de terrains d'atterrissage ordinairement utilisés, et ceci sans aucun danger de " capotage ".Les roues du châssis principal, dans un ",FABRE ", se trouvent à l'arrière de l'ensemble, ce qui permet l'emploi de grands angles d'envol et d'atterrissage, ce qui n'est pas possible dans la machine dite " classique ".
La carlingue peut être mise en contact avec le sol par une relevée du châssis, mécanisme rustique utilisé dans certaines voitures à suspension oléo-pneumatique (DS Citroën).
Cette position de l'ensemble permet un accès facile aussi bien à l'embarquement que dans le cas d'une évacuation rapide.
L'escamotage du châssis à roues multiples n'est plus réalisé par des mouvements complexes, ruineux, et dont l'insécurité est maintenant démontrée, mais par des mouvements simplifiés à l'extrême et d'un fonctionnement certain.
Enfin, cette disposition simplifiée du châssis permet aisément une commande mécanique du train qui devient automoteur, permettant d'exécuter les manœuvres au sol, réacteurs arrêtés. Nous connaissons, en effet, le prix absolument ruineux des manœuvres au sol du réacteur.
En un mot, le " FABRE " gagnerait la piste d'envol actionné par un moteur de petite puissance, puis l'ensemble des réacteurs serait mis en route sur la piste de départ, ce qui éviterait tous les inconvénients de " soufflage " actuellement admis sur les quais d'embarquement. On peut voir par cet exposé évidemment succinct, et par conséquent discutable, que le " FABRE " va, dans un avenir incessant, remplacer l'armée des avions périmés actuellement en service sur nos lignes aériennes.
Mais, nous l'avons vu, il est difficile de démontrer " l'évidence " et nous verrons encore, comme nous l'avons vu récemment, un nombre étonnant " d'incrédules " persister dans leur ignorance et nous " engrosser " de mécaniques dangereuses destinées dans un an à pourrir dans des hangars.