LA CONCEPTION D'UN COCKPIT D'AVION DE COMBAT
Yves KERHERVÉ
Chef pilote d'essais de Dassault Aviation
Pendant bien longtemps, le cockpit des avions de combat, comme d'ailleurs bien souvent les postes de travail d'opérateur de machine complexe, ne faisait pas l'objet d'un travail d'organisation poussé; on se contentait d'installer dans l'espace disponible, sans règle ni logique réfléchie, les instruments de contrôle et les commandes, au demeurant peu nombreux, nécessaires à la conduite de la machine.
Jusqu'à la génération des premiers MIRAGE III, le système d'armes se réduisait généralement à un système de visée relativement rudimentaire servant à utiliser un armement peu sophistiqué, bombes ou roquettes en Air/Sol, canon en Air/Sol ou en Air/Air. Ces systèmes d'armes se contentaient, pour élaborer les éléments du tir, d'un seul capteur, télémètre ou radar.
L'avènement des contre-mesures électroniques, destinées à détecter, leurrer ou brouiller les menaces adverses, qu'elles soient Air/Air ou Sol/Air constitue la première complexification des systèmes d'armes. Les contre contre-mesures furent l'étape suivante dans la lutte sans fin de l'épée et de la cuirasse.
L'arrivée d'armements sophistiqués (et très chers), capable d'une grande précision (dite souvent chirurgicale) pour en améliorer le rapport coût-efficacité et pour éviter "les dommages collatéraux" a imposé, d'une part, des systèmes de localisation très précis et d'autre part, des moyens d'acquisition et d'identification de la cible (en général optroniques).
Si l'on rajoute à ces aspects, la nécessité de voler vite et bas pour éviter les menaces, la nécessité de savoir en permanence séparer les ennemis des amis pour éviter les tirs fratricides, la capacité de traiter des objectifs détectés et identifiés par d'autres, à l'aide de liaisons de données, on se rend compte que la mission du pilote de combat s'est beaucoup complexifiée: à capacité de traitement égale, un équipage réduit (une ou deux personnes) doit donc disposer d'aides importantes pour faire face à sa charge de travail.
Ces aides sont de différentes natures:
. LA PREMIÈRE EST LA FACILITÉ DE PILOTAGE. Les commandes de vol électriques permettent en effet un pilotage aisé quel que soit le point du domaine de vol où l'on se trouve, elles permettent surtout de s'affranchir de la surveillance des limitations de ce domaine de vol, grâce aux protections automatiques contre les dépassements de facteurs de charge ou des incidences limites. Cette "facilité" permet au pilote de se concentrer essentiellement sur la conduite de sa mission sans dépenser une énergie importante à la surveillance de la trajectoire.
. LA DEUXIÈME AIDE EST CONSTITUÉE PAR UN ENSEMBLE D'AUTOMATISMES PERFORMANTS auxquels le pilote délègue une grosse partie de sa tâche, dégageant encore de la disponibilité mentale. Il s'agit essentiellement du pilote automatique et de l'auto-manette.
. LA TROISIÈME AIDE EST UN ENSEMBLE "D'AIDES À LA DÉCISION" qui propose au pilote des solutions à la plupart des problèmes rencontrés, que ce soit dans la conduite machine (système de surveillance, pannes avec check-lists associées, gestion de carburant, gestion de la trajectoire ...) ou de la conduite de la mission (gestion des priorités de cibles ou de l'importance des menaces, avec proposition de riposte.. .).
. LA DERNIÈRE AIDE EST CONSTITUÉE PAR L'INTERFACE HOMME/SYSTÈME, c'est-à-dire, l'ergonomie générale de la cabine, objet de tout un travail d'étude et de simulations, dès le début du programme.
Quel est le problème? : il s'agit de présenter au pilote, en permanence, des informations claires et synthétiques sur l'état de son avion, de ses munitions et de son système d'armes, sur son positionnement dans l'espace et le temps par rapport à sa mission, telle qu'elle était initialement prévue. Ceci se fait grâce à une puissante "intégration" et un certain nombre d'outils mis au point après de nombreuses simulations.
Quels sont ces principaux" outils" dans un avion comme le RAFALE?
Ceci constitue donc un énorme gain de place en cabine, car il n'est plus nécessaire de disposer d'instruments classiques (anémomètres, altimètres, variomètres. ..). En contrepartie, il est clair qu'il a fallu faire un gros travail sur la robustesse et la fiabilité de toutes ces informations que l'on n'a plus à l'intérieur du cockpit que sous une forme très succincte et utilisable seulement en dernier recours.
En plus de ce CTH, on peut utiliser un viseur de casque qui en est une sorte de prolongement naturel, il permet en effet de présenter une partie des informations utiles, directement dans le champ de vision du pilote, même lorsqu'il regarde en dehors du champ du CTH.
provenant des autres éléments du dispositif par le biais des liaisons de données. Ces informations sont présentées de manière "fusionnées", c'est-à-dire qu'une même cible, vue par le radar, l'optronique, les contre-mesures ou une détection extérieure retransmise est représentée par un symbole. C'est "la fusion de données".
Sont présentées enfin dans cette visualisation, les informations en provenance de la préparation de mission, comme par exemple, la position des sites missiles Sol! Air connus, la position des lignes ennemies, les couloirs de pénétration etc.
Cette visualisation constitue donc le "cœur" du système d'armes, du point de vue du pilote.
Bien sûr, le manche et la manette des gaz sont les commandes classiques de conduite du vol: le manche est latéral, pour dégager du volume disponible en cabine. La manette des gaz est unique pour les deux moteurs.
Sur ces deux organes, on a placé l'essentiel des commandes importantes de telle manière que le pilote, sans les lâcher, peut commander tout son système d'armes, régler ses capteurs, donner des ordres à son pilote automatique. Ces commandes dites "temps réel" sont au nombre de 13 sur le manche et de 24 sur la manette des gaz. On imagine volontiers que leur utilisation instinctive par le pilote, nécessitera un peu d'entraînement. Ce concept s'appelle 3 M (Main sur Manche et Manette) ou HOTAS en anglais (Hands On Throttle And Stick).
Il faut également des terminaux d'informations clairs pour indiquer au pilote un certain nombre de choses utiles, sur l'état de son avion, (circuit électrique, carburant, moteur, état des armements, situation des radios, du pilote automatique etc.)
Tout ceci se fait sur deux écrans couleur, à cristaux liquides et à surface tactile, placés de part et d'autre du collimateur tête moyenne et sur lequel on présente différentes pages, sur appel du pilote par commande en temps réel. La surface tactile permet de placer des commandes moins urgentes que celles du manche et de la manette. Ces deux visualisations "tête latérale", remplacent les postes de commandes "en dur" des avions classiques (poste de commande radar, pilote automatique, radio navigation etc.), ainsi que la plupart des cadrans de contrôle habituels (jauges de carburant, paramètres moteurs...) et ceci sous une forme beaucoup plus lisible et conviviale.
Un certain nombre de "petites astuces" qu'il serait trop long de détailler ici, complètent cet ensemble et contribue à faciliter le travail du pilote et à améliorer encore sa compréhension de l'environnement complexe dans lequel il se situe.
Voici décrite, d'une manière synthétique, l'organisation d'une cabine d'avion d'armes moderne et les principes qui y ont conduit. En résumé, il a fallu installer dans une cabine dont la taille n'avait pas sensiblement augmenté depuis les premiers avions de combat à réaction, un nombre croissant de commandes et de visualisation. Ceci n'a pu se faire que grâce aux technologies modernes et surtout grâce à un gros travail de réflexion et de simulation, mené très en amont du programme, avec la participation active des états majors concernés. Il est clair aujourd'hui que l'ergonomie d'une cabine d'avion de combat est une partie intégrante du système. Par analogie avec un PC., c'est le système d'exploitation sans lequel un système n'est pas utilisable par un opérationnel et il est donc indispensable d'apporter le plus grand soin à sa réalisation en y associant, de manière très étroite, les utilisateurs actuels et futurs, c'est-à-dire les pilotes d'essais du constructeur et des pilotes de l'armée de l'Air et de la Marine.