Compte rendu de Vol
César Tourdjman, 29 mai 1996
Le mercredi 29 mai 1996, j'ai eu la chance de pouvoir effectuer deux vols avec M. Gilbert Klopfstein, auteur de la récente collection "comprendre l'avion". Le premier s'est déroulé sur CAP 10 B, et se proposait d'illustrer quelques principes de mécanique du vol décrits dans le tome II de la collection : "l'avion en vol". le second s'est fait sur PA 28, Gilbert tenait absolument à me montrer ses dernières innovation concernant les approches IFR au GPS (Global Positionning System). Klop, comme lui-même se surnomme parfois, n'en est pas à ses débuts en matière d'innovation. Parallèlement à son activité de pilote et d'instructeur, il a exercé une riche carrière d'ingénieur, de pilote d'essais et de chercheur (ou devrais-je dire de trouveur…). Diplômé de Sup'Aéro et de Sup'Elec (major), sorti également major de sa promotion de l'école de Chasse, il a mené à bien de nombreux travaux de recherche et contribué, notamment, à la conception et à la mise au point du premier avion supersonique européen à commandes de vol électriques, qui fut le simulateur volant de Concorde. Il est aussi le "père" de plusieurs systèmes d'aide au pilotage, tels que le calculateur de décision au décollage, le pilote automatique de trajectoire (en pente et en route), le variomètre à énergie totale et le collimateur tête haute (que les américains ont appelé HUD pour Head-up Display). Voici le compte rendu de ces deux vols.
CAP 10
Je m'installe en place gauche, pas peu fier de prendre une leçon de pilotage par cet illustre personnage qui force tant mon admiration.
Au cours de la montée, plein gaz, on note mentalement le taux de montée indiqué au variomètre. Pied à fond à droite, manche légèrement à gauche. L'avion vole en ligne droite en dérapé stabilisé. On remarque alors que le taux de montée n'a pas varié (de l'ordre de 5 m/s)). Même opération avec le pied à fond à gauche. On vient de démontrer que le dérapage ne "traîne" pas, puisqu'il ne dégrade pas les performances aérodynamiques de l'avion. cela est d'autant plus remarquable que le CAP 10 a une dérive de très grande surface, bien plus que la plupart des monomoteurs. En fait, tout comme l'aile, le fuselage "canalise les filets d'air, aux vitesses que nous utilisons. Une première idée reçue est battue en brèche.
On cabre l'avion jusqu'à la verticale, en veillant à maintenir le fuselage sur l'axe. Au fur et à mesure de la diminution de vitesse, le pied droit s'enfonce progressivement jusqu'à la butée. A ce moment précis, et quelle que soit la vitesse atteinte à cet instant, on actionne le palonnier à fond dans l'autre sens; c'est là qu'il a la plus grande efficacité, puisque son débattement est total. Si l'on prend soin de contrer correctement le roulis induit par la vitesse de lacet, au manche, le renversement est impeccable. On n'a plus besoin de surveiller d'un œil le badin pour effectuer sa figure à une certaine vitesse.
La mise en vrille est effectuée normalement, un peu en dessous de 100 km/h. il est intéressant de noter l'existence d'un régime transitoire. L'avion se met en vrille puis, avant la fin du premier tour, semble hésiter et la cadence de rotation diminue un court instant pour aussitôt reprendre, avant de ralentir une seconde fois. Ensuite seulement la vitesse de rotation normale de la vrille est établie et le phénomène atteint sa stabilité. Si on laisse l'avion livré à lui-même pendant ce régime transitoire, sans toucher aux commandes, il sort de vrille tout seul. Pour en sortir pendant la vrille stabilisée, manche légèrement secteur arrière et pied à fond contre. La sortie de vrille se fait parfaitement (voir "l'air et l'avion").
La mise en vrille est identique à la précédente, vers 2100 m d'altitude, lorsque le régime est établi, on pousse sur le manche. La cadence de rotation et le taux de chute augmentent considérablement, ce dernier atteignant 33 m/s, c'est-à-dire 6500 ft/mn. la seule façon de sortir rapidement de cette situation sans avenir certain est de mettre le manche à fond dans le sens de la vrille, le pieds restant au neutre. La sortie normale de vrille est bien plus lente et ne parviendrait pas à stopper une vrille rapide avant que l'on atteigne le sol. A 1550 m d'altitude, on amorce la manœuvre de sortie. A 1300 m, l'avion sort enfin et à la fin de la ressource, l'altitude indiquée est d'à peine plus de 1100 m. nous avons perdu près de 1000 m en une trentaine de secondes. C'est effrayant.
Retour à Cannes, léger vent de travers. L'avion suit une ligne droite en finale, le nez un peu à gauche de l'axe de piste. Le but de l'atterrissage est d'amener l'avion à suivre une autre ligne droite, une fois au sol, matérialisée par l'axe de piste. Arrivée en douceur, l'air est idéalement calme et se prête parfaitement à une démonstration significative. Au moment précis de l'impact, l'avion est sustenté (le nez est toujours un peu à gauche de l'axe de piste), et les roues entrent en contact avec le sol avec un effort tangentiel nul, donc une accélération latérale nulle. Au fur et à mesure que la vitesse décroît, le mode de pilotage change progressivement : ce n'est plus le manche qui pilote l'avion, ce sont les palonniers, on ramène lentement le nez de l'avion sur l'axe de piste avant de s'arrêter complètement. On est passé d'une trajectoire rectiligne uniforme (approche finale) à une autre trajectoire rectiligne uniforme (roulage au sol) dans un référentiel galiléen. L'avion n'a subi aucune accélération latérale, ses passagers non plus. A titre d'information, les élèves de l'EPNER (Ecole du Personnel Navigant d'Essais et de Réception) apprennent depuis plus de 20 ans à atterrir sans décraber. En effet, décraber avant l'impact implique de voler un court instant en dérapé stabilisé, donc avec une certaine inclinaison. Il est intéressant de savoir que certains avions de ligne quadriréacteurs touchent un moteur à une inclinaison de l'aile comprise entre 4° et 8°. Cette manœuvre leur est donc interdite.
PA 28
Après avoir méticuleusement effectué le tour de l'avion, Gilbert s'installe aux commandes. Ce n'est plus une leçon de pilotage, c'est une démonstration. Il a fallu quatre courriers (ce qui démontre une bonne volonté évidente du contrôle de Nice) pour obtenir l'autorisation écrite d'effectuer une approche IFR entre 13h30 et 15h ce mercredi 29 mai. Quand je lui demande ce qu'on va faire maintenant pour la caméra (car je filme tout !), il m'explique que l'on va voir une cartographie de l'approche de Nice, mais différente de celle qu'on peut voir sur les Map Display des gros porteurs. Ceux-ci mettent en évidence les VOR et autres NDB. Pourtant, on ne se tue pas dans le cône de silence d'une balise, mais dans la montagne sur laquelle elle est implantée. Avec le système que je vais voir, on évite le plus simplement du monde chaque point du relief pouvant être dangereux. C'est parlant et clair.
Gilbert sort cérémonieusement son GPS de son étui et commence à installer le "bricolage Klop" qui lui permettra de fixer celui-ci sur le haut du tableau de bord. L'antenne est fixée à la verrière par une ventouse, sur le côté droit, et le tout est relié à un micro-ordinateur que je porterai sur les genoux. Après un moment de recherche, le GPS finit par capter les signaux orbitaux de 7 satellites Navstar. Le micro-ordinateur est mis en route. Au lâcher des freins, le "timer" du micro est lancé, et le GPS envoie en temps réel l'information de position et de vitesse (sol) à la machine. Sur l'écran apparaît alors la trajectoire de l'avion sur la piste vue de profil, ainsi qu'un petit "mur" qui se déplace en avant de l'avion. Il s'agit du point où s'arrêterait l'avion si l'on décidait d'interrompre le décollage à cet instant précis.
Contrairement à la première idée qui vient à l'esprit, la distance d'arrêt après accélération ne dépend que de la vitesse de l'avion, et non de sa masse. Klop a reconstitué en partie un calculateur de décision au décollage. Bien que pas très utile sur monomoteur en général, celui-ci fournit pourtant une information de tout premier ordre, tant sur le plan opérationnel que sur celui de la sécurité.
Après l'envol, on lance le programme
"GPS". Quelques secondes plus tard, l'écran affiche une carte de la région,
depuis l'Ouest de Cannes jusqu'à l'Est de Nice, vers Menton. A partir
de cet instant, cela devient merveilleux. Un petit plot se déplace en
temps réel sur l'écran (n'oublions pas que le GPS envoie ses informations
à l'ordinateur toutes les 1,21 seconde, alors qu'un GPS "professionnel"
rafraîchirait ses informations chaque dixième de seconde). Quelques
points significatifs, programmés par Gilbert, apparaissent eux aussi
ça et là, ainsi que la piste de Cannes, celle de Nice, les points
de compte rendu figurant sur la carte d'approche de Nice et surtout les lignes
de niveau du relief de la région. Grâce à une fonction particulière
de ce GPS, on lit sur l'écran de contrôle le paramètre "CTS",
pour "Course To Steer". Notion utilisée pour la navigation maritime,
cette indication tient compte de l'écart entre la route désirée
(DTK : Desired TracK) et la route instantanée (TRK : TRacK). Son utilisation
est des plus simples. Le GPS calcule la route (une orthodromie) entre deux points
de passage A et B. "CTS" nous donne la route instantanée que l'on doit
suivre pour rejoindre cette orthodromie idéale par le chemin le plus
court avec un amortissement critique, c'es-à-dire sans overshoot. Si
CTS=TRK, on est sur la route idéale, quelle que soit notre erreur de
position à un instant donné.
Nous nous établissons en finale à Nice. L'ordinateur indique : "distance 8.6 Nm, vous devez être à 2770 ft." Je regarde l'altimètre : 2750 ft, le pilotage aussi n'est pas si mal… Il y a du vent ? je n'en sais rien ! et je m'en fiche ! au fait, il n'y a aucune information de cap de radial ou de QDM dans notre système : route idéale, route instantanée et altitude, cela suffit. Un petit coup d'œil à l'ILS, que Gilbert n'a pas regardé une seule fois : flagué. Flagué ? non, en croix : il est honteux de précision, presque mieux qu'un A320, avec des moyens ridiculement peu onéreux, une solide ingéniosité, une grande persévérance et pas mal de bon sens. Je regarde dehors à 100 ft (minima CAT II), on est sur l'axe. Toucher (sans décraber), puis remise de gaz. Elle est programmée dans le GPS, et la CTS nous indique la route à suivre pour être sur le trait demandé par le contrôle. Un petit coup d'œil sur l'écran du micro me montre que l'on passe rigoureusement sur les points de compte rendu prévus. Pile poil.
Nous effectuons ensuite une approche IFR sur le terrain de Cannes (terrain non instrumenté IFR), avec la même précision et rigueur, en utilisant des points de passage fictifs, appelés de façon imagée OM617 (Outer Marker à 6 Nm du seuil de la piste 17) et MM317(Middle Marker à 3 Nm du seuil de la piste 17). Avec ce système, l'approche peut être courbe, segmentée, inversée : ça marche ! on flirte avec une ligne de niveau figurant sur l'écran en toute sécurité : elle indique le relief situé 500 ft plus bas. l'atterrissage est effectué à Cannes avec les mêmes minima qu'à Nice, impeccable. Ce qui est fantastique, c'est que l'on a la même précision sur un terrain de brousse que sur un aéroport international, avec autant de sécurité et sans installation au sol. Quel progrès !
Il y a quatre ans, Gilbert Klopfstein a réalisé une étude probatoire pour la DGAC, démontrant les capacités d'un tel système, en y couplant une centrale à inertie. Elle est semble-t-il toujours dans les cartons… dans un récent numéro de la revue Icare, un ancien mécanicien navigant d'Air France publie un article qui prévoit que l'avenir de la navigation aérienne réside dans le couplage GPS-Inertie… aujourd'hui, Gilbert Klopfstein continue de travailler seul, comme il l'a fait toute sa vie, avec sa seule retraite pour ressource. Bravo Gilbert, et merci…
César Tourdjman, 29 mai 1996.