Nouvelles des instruments a collimation

par RENÉ LAMI

 

L'autorité technique de notre excellent camarade René Lami est telle que, depuis de nombreux mois, la question nous fut souvent posée à l'A.P.N.A., de savoir quand notre fidèle ami nous donnerait un complément de ce qui, dans la Revue de l'A.P.N.A. Eté 1962, pages 16 à 19, traitait déjà d'une plume experte, la question des instruments à collimation.

C'est fait. Et nous sommes heureux de porter ainsi à la connaissance de nos impatients lecteurs, ce nouveau texte de René Lami, dont la qualité ne chemine pas sans un appréciable humour.

 

Nos camarades qui ont bonne mémoire et lisent la Revue de l'A.P.N.A. se souviennent peut-être d'un article écrit il y a de nombreuses années, où j'indiquais les avantages que je voyais utiliser des instruments à collimation pour le pilotage des avions.

A cette époque, d'éminents techniciens jugeaient l'idée impossible (mais d'autres encore plus éminents n'avaient-ils pas, avant eux, jugé impossible le vol du plus lourd que l'air?). Depuis, la petite idée a fait son chemin et d'autres à l'étranger ont eu des idées voisines, si bien que les instruments de pilotage à collimation désormais baptisés " Head-Up Displays " ou " HUD" ont commencé à être pris au sérieux.

Entre temps, la technologie de l'électronique a fait d'énormes progrès. Elle permet de représenter toutes les images voulues avec une brillance suffisante et toutes les variations de forme désirables. On a même bon espoir de trouver des solutions aux problèmes d'installation qui restent le gros point noir dans des cockpits n'ayant jamais été prévus pour les recevoir et où la planche de bord traditionnelle avec laquelle l'avion est " certifié " ne peut guère être modifiée.

LES IMAGES A REPRESENTER

Ces possibilités techniques ont rapidement fait apparaître qu'un choix devait intervenir pour décider quels paramètres seraient représentés par les images lumineuses du collimateur.

Deux tendances se manifestent :

- l'une reprenait les informations traditionnelles des planches de bord, mais la tentation de tout représenter conduisait rapidement à interposer " un arbre de Noël " entre le paysage et l’œil du pilote.

- l'autre, à l'opposé, se contentait de l'image d'un Directeur de Vol, avec tout au plus une image de barre d'horizon (qui ne restait pas en coïncidence avec l'horizon réel).

C'était oublier, dans le second cas, qu'un Directeur de Vol est un semi-pilote automatique où le pilote humain joue le rôle stupide d'une servocommande qui maintient des écarts zéro (l'ancêtre des Directeurs de Vol s'appelait " Zero-Reader "). Cela est encore plus vrai dans ce genre de collimateur, où les paramètres à contrôler restent sur la planche de bord.

La première solution restait possible, à condition de savoir se limiter à un petit nombre d'informations indispensables, les autres restant disponibles sur la planche de bord, comme c'est le cas lorsque l'on pilote à vue.

Dès maintenant une question bien simple, mais embarrassante, doit être posée :

" Pourquoi peut-on atterrir manuellement tout avion, du B.B. Jodel au Concorde en passant par le B. 747 quand la visibilité est suffisante, alors que c'est quasi-impossible avec les instruments traditionnels ? "

On serait tenté de répondre aussi simplement : " C'est que les instruments classiques ne sont pas satisfaisants " Mais on ne peut en rester là, car on se trouve en présence de deux attitudes :

- les uns veulent essayer d'améliorer ce qui existe.

- les autres ne veulent surtout pas qu'on essaye, afin de démontrer par l'absurde que le vol entièrement automatique est inéluctable.

UNE AUTRE VOIE

Nous sommes quelques-uns, en France, à n'avoir plus voulu de cette alternative. Il était évident que le problème serait résolu si l'on savait représenter, dans un collimateur, des informations de qualité identique à celles des informations visuelles extérieures, voire plus complètes, et utilisables aussi facilement par les pilotes.

Il fallait donc découvrir d'abord par quel mystère l'information visuelle extérieure permet de poser manuellement tout avion sur une piste, ce que les meilleurs instruments de planche ne permettent pas, bien que l'aide occasionnelle de certains d'entre eux soit nécessaire.

Il fallait analyser ensuite ce qui fait défaut à cette image extérieure puisqu'il faut l'améliorer en équipant les pistes de lignes d'approche et de V.A.S.I., et qu'il faut encore consulter les instruments.

Il fallait enfin vérifier si les paramètres traditionnels permettraient de fournir à un collimateur des images possédant les qualités recherchées.

L'INFORMATION VISUELLE EXTERIEURE

Si nous nous limitons au cas de l'approche, le petit croquis de la Fig. 1 facilitera les explications :

Sur ce croquis, tout le monde voit immédiatement qu'on est à droite de la piste. POURQUOI? Tout simplement parce que la trace au sol du plan vertical passant pas l'observateur dans l'avion (O.A.) est à droite de la trace au sol du plan vertical passant par l'axe de piste (O.P.). La distance (A.P.) entre ces deux plans est constante, mais vue à l'infini, elle se réduit à un point 0 (c'est le fameux effet de perspective).

Mais observons maintenant les croquis de la Fig. 2 :

Le premier croquis montre que l'on est à gauche de l'axe OA, tandis que le second montre que l'on est à droite. Mais si l'on ne voyait que la partie pleine de OA, le reste étant caché ainsi que l'horizon, il serait impossible de dire si l'on est à droite ou à gauche, car on pourrait intervertir les deux croquis. C'est ce qui se passe si on ne voit dans le brouillard qu'un fragment de ligne d'approche.

Calvert a ainsi démontré qu'il y avait ambiguïté entre roulis et écart latéral, et c'est pourquoi il a équipé ses lignes d'approche de barres transversales (et non seulement pour donner une indication de distance) : ces barres qui restent parallèles à l'horizon permettent de restituer la référence pour juger l'inclinaison apparente de l'axe, donc l'écart latéral.

Première conclusion : Quand la mauvaise visibilité rend inexploitable l'information d'horizon au sol, il faut la remplacer par une information instrumentale afin de pouvoir utiliser le guidage latéral par une ligne axiale. C'est ce que permet un collimateur équipe d'une barre d'horizon (ou d'un repère vertical) asservi en roulis.

Regardons maintenant la Fig. 3 :

Pour le Père Bon Dieu assis sur son nuage, comme pour le pilote ou l'observateur à plat ventre au sol, l'horizon est... horizontal, c'est-à-dire qu'il est représenté par trois lignes parallèles à leurs trois niveaux.

Le Père Bon Dieu voit le pilote à un angle p au-dessous de Son Divin Horizon, et si le pilote n'était pas un mécréant, il verrait Dieu à ce même angle p au-dessus de son propre horizon.

De même si l'observateur à plat ventre voit, à un moment donné, l'avion à un angle g au-dessus de son horizon, le pilote verrait à ce même moment l'observateur à l'angle g au-dessous de l'horizon de l'avion, car, avant l'avènement des mathématiques " modernes ", on apprenait à l'école primaire que les alternes internes sont égaux.

Notons au passage que cela ne préjuge en rien la position future de l'avion qui peut aussi bien monter, descendre ou voler horizontalement au moment de l'observation réciproque : il s'agit de la pente instantanée de l'avion par rapport à un point du sol, et nous l'appellerons " pente géographique " pour la distinguer de la pente de sa trajectoire.

Deuxième conclusion : Pour connaître sa pente " géographique " par rapport à un point du sol, il faut pouvoir mesurer la distance angulaire de ce point au-dessous de l'horizon vrai. Là encore un collimateur permet de donner cette image artificielle d'horizon vrai, plus vrai d'ailleurs que l'horizon naturel que l'on voit toujours plus bas (à cause de la rotondité de la terre), quand par extraordinaire il est visible. Il suffit pour cela d'asservir les mouvements de l'image aux angles de roulis et de tangage d'une centrale de verticale avec une sensibilité de - 1/1 : les mouvements sont ainsi toujours égaux et opposés à ceux de l'avion, l'image est immobile sur le paysage et il suffit de caler une fois pour toutes l'horizon artificiel sur l'horizon vrai. L'origine étant fixée, il ne reste qu'à associer à cet horizon une échelle ou un repère ajustable par un sélecteur pour avoir un V.A.S.I. universel aéroporté.

Ainsi donc, la position du seuil de piste sous l'horizon donne l'information de guidage vertical, et l'inclinaison apparente de l'axe de piste donne le sens de l'écart latéral. Mais ce n'est pas tout :

Considérons les croquis a) et b) de la Fig. 4.

Sur ces deux croquis les triangles OPA sont égaux, autrement dit on se trouve sur une même "pente géographique" g par rapport au seuil de piste, et l'inclinaison apparente de l'axe est la même.

Il est pourtant évident que l'écart latéral est d'environ une largeur et demie de piste sur le croquis a) tandis qu'il n'est plus que d'environ le huitième de cette même largeur sur le croquis b).

Troisième conclusion: La valeur de l'écart latéral apparaît immédiatement par référence à une grandeur connue qui est la largeur de la piste, et cela donne au pilote la notion instinctive de la correction à faire pour rejoindre son axe. Ceci montre aussi que le guidage visuel devient de plus en plus précis au fur et à mesure qu'on approche de la piste, sans pour autant devenir hypersensible.

Si l'on sait, dans un collimateur, fabriquer une image de piste artificielle telle que celle schématisée ci-dessus, le problème du guidage instrumental sera résolu exactement de la même façon qu'il l'est, grâce à l'horizon pour la piste réelle. C'est la seule façon valable de fournir l'information de guidage et il faut absolument rejeter tous les systèmes faussement représentatifs ne conduisant qu'à des déplacements linéaires d'aiguilles plus ou moins proportionnels à des chiffres de micro-ampères dont se moque bien le pilote.

LE PILOTAGE

Disposant d'une telle information de guidage dans un collimateur, on aurait peut-être pu, comme on l'a toujours fait, continuer à piloter en s'aidant des instruments traditionnels, mais puisque l'on était revenu aux sources pour le guidage, n'était-il pas logique d'en faire autant pour le pilotage ?

Sans faire ici le Procès des instruments, il faut bien dire que ceux-ci sont apparus de façon anarchique sur les planches de bord car, dès qu'on apprenait à mesurer un paramètre, on installait un cadran et une aiguille pour le représenter, sans trop se préoccuper de savoir si c'était pour un pilote la meilleure façon de l'utiliser, ou si on lui fournissait vraiment l'information nécessaire.

Ce ne sont pas les instruments qui se sont adaptés aux besoins mais le pilotage qui a du s'adapter aux instruments.

LES BESOINS

Revenons aux sources, comme l'a fait le Colonel Klopfstein, (Pilote d'Essais, Ingénieur en Chef de l'Armement et Professeur de Mécanique du vol à Sup'Aéro) à qui nous devons la plupart des idées exprimées ci-après.

Qu'est-ce que le pilotage ? Si nous excluons la navigation, dont le guidage est un cas particulier, et la conduite du vol (moteurs et systèmes), c'est d'abord assurer la sustentation dans les meilleures conditions de sécurité et de rendement, et agir sur la trajectoire pour l'amener sur un plan, un axe ou une route défini par le moyen de guidage (visuel ou instrumental).

LA SUSTENTATION

C'est, je crois, le Capitaine Ferber qui disait, à l'époque héroïque " La sustentation est une fleur qui naît de la vitesse ". La formule était jolie, mais hélas incomplète : Si une aile est à l'angle de portance nulle, elle ne porte pas quelle que soit la vitesse; si elle arrive à l'angle de décrochage, au cours d'une ressource brutale par exemple, elle décrochera quelle que soit la vitesse; si l'on choisit une " vitesse de référence " pour atterrir, c'est en réalité un angle de référence que l'on recherche et la vitesse correspondante doit être calculée en fonction du poids.

C'est donc bien l'angle d'attaque qui est le paramètre fondamental de sustentation à fournir au pilote, et non pas le "Badin" qui n'a d'intérêt que pour le roulement au sol ou pour des vitesses limites liées à la résistance de structure.

Reste à trouver une représentation utilisable. On a essayé sans grand succès le sempiternel cadran ou un jeu de lampes de couleur.

Alors, revenons encore aux sources. Qu'est-ce que l'angle d'attaque ? C'est celui que forme la direction " d'où vient le vent " avec une référence fixe de l'avion (en général l'axe du fuselage). Or le vent dont il s'agit ici est le vent " relatif " produit par le déplacement de l'avion dans la masse d'air.

Un jour où Klopfstein atterrissait en Mirage pendant une averse de neige, il remarqua dans son pare-brise la direction de ce vent relatif littéralement " matérialisée " par les flocons.

LA TRAJECTOIRE

En même temps que lui apparaissait " grandeur nature " son angle d'attaque (entre la direction d'où venaient les flocons et son axe de fuselage), sa trajectoire-air lui sautait aux yeux : c'était celle d'où venaient les flocons...car évidemment l'endroit " d'où vient " le vent (relatif) est celui " où va " l'avion.

Le " Vecteur-Vitesse " air était matérialisé.

Il ne restait plus qu'à reproduire, dans un collimateur, l'angle d'attaque en vraie grandeur par rapport au repère d'axe-fuselage pour pouvoir y positionner un repère lumineux baptisé " Vecteur-Vitesse ".

Il fallait, en réalité, lui faire subir une petite correction d'installation, comme pour une antenne Badin, à cause de la petite déviation de l'écoulement au point de mesure.

PILOTABILITE

Tous ceux qui ont vu atterrir les " jets " actuels et surtout les " deltas " comme le Concorde, ont pu remarquer leur descente " nez en l'air " pendant l'approche: l'angle d'attaque étant fort, la trajectoire n'a plus rien à voir avec l'assiette.

Pourquoi diable continuer à piloter l'assiette ?

Alors Klopfstein a eu une idée géniale : grâce à un filtrage (par simple couple résistance-capacité) du signal de la girouette ou de la sonde d'incidence, il a rendu le vecteur-vitesse pilotable.Bien sûr, l'action sur la profondeur continue à faire varier l'assiette, mais on s'en moque éperdument : c'est la variation de pente du vecteur-vitesse qui nous intéresse (d'ailleurs, à court terme, les déplacements sont identiques).

L'horizon retrouve son véritable rôle, qui est d'indiquer la pente (celle de la trajectoire, comme la pente " géographique ") et non plus seulement l'assiette, paramètre indirect et périmé.Après le Badin, voilà un second " monument historique " mis bas : tant pis, restons logiques.

CONTROLE DE L'ANGLE D'ATTAQUE

Le repère d'axe-avion étant souvent loin du vecteur-vitesse (voir plus haut l'exemple des " jets " en approche), il serait difficile de préciser la valeur de l'angle sans une échelle graduée liée à ce repère. Il est cependant plus commode d'utiliser un second repère décalé de la valeur de l'angle d'attaque choisi (fixe ou ajustable par un sélecteur).

Ainsi, quand ce dernier coïncide avec le vecteur-vitesse, on vole exactement à l'angle choisi. S'il est vu plus haut, on vole à un angle trop tort (qui correspondrait à un Badin trop faible) et vice-versa.

LES COMPLEMENTS

Avec l'horizon collimaté devenu indicateur de pente, et dont l'indication de roulis sert non seulement à contrôler le virage, mais aussi les écarts latéraux; avec une piste artificielle superposable à la piste réelle, donc utilisable de la même façon; avec un vecteur-vitesse qui permet à la fois le contrôle de la trajectoire et de l'angle d'attaque, que demander de plus ?

Rien d’absolument indispensable, mais deux petits index bien utiles cependant.

LA PENTE TOTALE

C'est bien joli de connaître son angle d'attaque, encore faut-il pouvoir le faire varier, tout comme il faut pouvoir agir sur le Badin.

Dans ce dernier cas, on en est resté au Moyen Age; sans doute a-t-on fait pâlir des stages entiers de pilotes avec des calculs mentaux de préaffichage de pression d'admission ou d'E.P.R., mais le procédé est inapplicable sur les plus récents avions, équipés de réacteurs à haut taux de dilution notamment : le jeu des stators variables ou autres vannes de décharge rend cet affichage difficile et peu significatif. On procède donc par tâtonnements ! ! (une auto-manette ne fait guère mieux, quand ce n'est pire !).

De quoi s'agit-il ici ? Pour faire varier l'angle d'attaque, il faut faire varier la vitesse, mais ce n'est pas la valeur de cette vitesse qui nous intéresse, c'est sa variation. Quand l'angle augmente, il faut donc accélérer. Mais de combien ?

Autre idée géniale de Klopfstein qui nous ramène aux sources. Qu'est-ce que l'énergie totale ? Réponse : la somme de l'énergie potentielle et de l'énergie cinétique, ce qu'on écrit :

Et = P.Z + 1/2 m.V² ou encore Et = m.g.Z + 1/2 m.V²

avec Et = énergie totale; P = poids; m = masse; Z = hauteur; V = vitesse.

Si nous divisons tout ça par m.g (g = accélération de la pesanteur) il reste :

Et/m.g = Z + V²/2 g

Comme le 2e terme est homogène à une hauteur, nous pourrons baptiser le premier " Hauteur totale " Ht et en considérer la variation dHt dans le petit intervalle de temps dt :

dHt / dt = dZ / dt + V. dV / g. dt

Si nous appelons Vt la variation de hauteur totale dans le temps, et G l'accélération le long de la trajectoire qui est dV / dt nous pouvons écrireVt = Vz + VG / g puisque Vz est la variation de hauteur dans le temps (... le vario !) et si maintenant on divise tout ça par la vitesse, on obtient évidemment les pentes :Vt / V = Vz / V + G / g. On appelle le premier terme " Pente totale " et l'on voit que c'est simplement la somme de la pente de la trajectoire et du rapport de l'accélération le long de la trajectoire à celle de la pesanteur.

Or ce rapport est lui-même équivalent à une pente. En effet, si je place une bille sur un plan parfaitement horizontal, elle ne bouge pas, mais si j'incline ce plan de 1 %, une composante de 1 % de g va faire rouler la bille, qui va accélérer (s'il n'y a pas de frottement) à 1 % de 9,81 m par seconde chaque seconde. Ainsi, une variation de pente de 1 % donne une accélération de 0,01 . 9,81 m/sec² soit environ 0.1 m/sec/sec ou encore 0,2 Kt par seconde, ce qu'on apprend dans les écoles de pilotage.

Réciproquement, si je voulais retenir la bille avec un élastique, il faudrait exercer une force de 1 % g . m, et en tirant plus fort, elle remonterait la pente.

De même la poussée des réacteurs (ou la traction des hélices) équilibre la traînée plus la composante du poids. Autrement dit, le surcroît ou le déficit de poussée doit être converti en une variation équivalente de pente, sinon on accélère ou on ralentit.

Si maintenant nous plaçons dans un collimateur un petit index pour représenter la pente totale, sa position par rapport au vecteur-vitesse renseigne aussitôt sur l'état d'accélération ou de décélération : s'il est plus haut on accélère, car on " pourrait " monter davantage (ou descendre moins), et vice-versa s'il est plus bas, d'où le nom de pente " potentielle " qu’on lui donne parfois. Et si l'on considère sa position par rapport à l’Horizon, il montre véritablement la pente totale, c'est-à-dire celle que permet le bilan actuel d'énergie. Ainsi le pilote sait-il toujours où il en est : il peut choisir :- d'accélérer ou de décélérer,- maintenir son angle d'attaque en réglant la poussée pour maintenir l'index en face du vecteur-vitesse .- amener la pente de sa trajectoire en face de l'index s'il ne peut ou ne veut modifier la poussée.

REPERE DE ROUTE

De même que dans le plan vertical il est possible de piloter directement la trajectoire et non plus l'assiette, il est possible quand on se réfère à des repères au sol, d'asservir un index à la dérive et de piloter directement cet index dans le plan horizontal, c'est-à-dire la route.

On pilote donc complètement la trajectoire quand on se dirige vers une piste, et non plus l'axe de l'avion.

LES REALISATIONS

Bien entendu, on n'est pas parvenu du premier coup à créer un collimateur appliquant complètement les conceptions que j'ai cru nécessaire de vous exposer, un peu trop longuement peut-être.Ces conceptions évoluaient au fur et à mesure que les idées nous venaient et que les moyens techniques permettaient de les mettre en pratique. Il est toujours plus difficile d'arriver à la simplicité qu'à la complexité. Et puis enfin, on n'est pas arrivé aux " jets " actuels sans passer par les avions à hélices.Je ne vous parlerai donc pas des réalisations passées, et me limiterai à deux appareils, tous deux construits par Thomson-CSF, avec la collaboration du Service Technique de l'Aéronautique.Il s'agit du C.V. 91 et du T.C. 121 qui équipent tous deux l'avion laboratoire de Sup'Aéro.Je n'entrerai pas ici dans la description de ces appareils, pour ne pas abuser des colonnes de la Revue (ce que Macaigne ne me pardonnerait pas). Je me contenterai de dire que le C.V. 91, version très simplifiée et de faible encombrement, est en expérimentation sur un B.747 d'Air France et sur un D.C.8 de l'U.T.A. Le D.C.8 bénéficie d'une double installation très bien faite, grâce à laquelle l'unanimité des pilotes officiels du groupe K.S.S.U. a choisi l'appareil français de préférence à son concurrent américain qui bénéficiait de services commerciaux nettement plus "joufflus".

Le T.C. 121 est le premier - et le seul - collimateur au monde à appliquer complètement les principes exposés. Il n'est parvenu à son état actuel et ne survit que grâce aux efforts persévérants du Colonel Klopfstein, au travail efficace des techniciens de Thomson-CSF (en particulier M. Boulch qui participe à presque tous les essais en vol) et à l'aide précieuse de M. l'ingénieur Général Forestier, à Sup'Aéro.

Dès les débuts de son expérimentation avec la piste artificielle (générée, pour le moment, seulement à partir des signaux de l'I.L.S.) il a permis des atterrissages sous capote sans difficulté.

EXIGENCE DES COLLIMATEURSGYROS

Dès les premiers essais sur d'autres modèles, on s'était aperçu de la nécessité d'une référence de verticale très précise, ce qui n'est pas très surprenant quand on sait que la pente à mesurer est de l'ordre de 3° et que les précessions des centrales de verticale classiques atteignaient la moitié de cette valeur. Les gyros exigeaient donc des grandes précautions d'utilisation (faibles évolutions en finale, stabilisation de la vitesse, etc... ).

Heureusement, les avions civils commencent à être équipés de centrales à inertie qui offrent toute la précision désirable.

CHAMP DE VISION

Le T.C. 121 offre un champ de 25°, ce qui est suffisant en pratique, car par mauvaise visibilité les dérives supérieures à 12° peuvent être qualifiées de " hautement improbables "... et de plus il y a une astuce pour s'accommoder des dépassements éventuels.

SONDES D'INCIDENCE

Qu'il s'agisse de simples girouettes ou de détecteurs plus sophistiqués (sondes à fente) la précision atteint 0.1 à 0,2° selon la liberté du choix de l'installation. Pour mémoire, une variation d'angle d'attaque de 1° correspond, aux vitesses d'approche usuelles, à une variation de l'ordre de 5 Kts.

INSTALLATION A BORD

Comme je l'ai dit au début, c'est le gros obstacle sur des avions où la planche traditionnelle est intangible. L'utilisation d'un tube cathodique sur le T.C. 121 a conduit à l'installer en plafond. Des techniques nouvelles font espérer que l'on pourra éviter l'encombrement d'un tube cathodique, voire même, grâce à d'autres, de l'optique classique du collimateur, tout en donnant cependant les images lumineuses à l'infini nécessaires à l'application des principes exposés.

Enfin, il faut bien espérer que lorsque le collimateur aura fait ses preuves, les instruments traditionnels lui feront un peu de place.

FIABILITE

Le T.C. 121 n'avait pour mission que de démontrer l'exactitude des conceptions exposées plus haut. Il a pourtant démontré une fiabilité remarquable, due à la simplicité des solutions employées.

Cela pourtant ne suffit pas pour une utilisation en Ligne, aussi une étude a-t-elle été faite pour obtenir la redondance des informations vitales, sans surcharger l'image. Les principes qui s'en dégagent pourront sans doute s'appliquer à une version ultérieure.

LES ESSAIS

Le seul Nord 262 de Sup'Aéro a permis à des centaines de pilotes français et étrangers de participer aux essais, de se familiariser avec des concepts de pilotage " révolutionnaires " et de donner leurs avis.

L'avion a fait une grande tournée aux Etats-Unis, en septembre 1972, et en a ramené des appréciations fort élogieuses de la part d'organismes qui ne montrent d'ordinaire que peu de complaisance pour du matériel qui n'est pas " made in U.S.A. " (U.S. Air-Force en particulier). La philosophie de ces collimateurs, et les étonnants résultats du T.C. 121 en particulier, commencent à être connus des spécialistes à l'étranger. De nombreux pilotes sont venus d'Europe et des Etats-Unis se convaincre qu'ils pouvaient en une seule séance de vol sur un avion qu'ils ne connaissaient pas, se poser sous capote quel que soit le vent de travers ou autres difficultés, et s'arrêter pratiquement la roue de nez sur la ligne axiale de la piste.

Curieusement nos journalistes qui se veulent aéronautiques et indépendants observent un silence absolu. (tiens pourquoi?).

Les crédits manquent, mais le travail continue. Un moyen palliant les insuffisances, anomalies ou pannes de l'I.L.S. va permettre de doubler l'image de piste, ce qui donnera au T.C. 121 une supériorité incontestable sur tous les systèmes automatiques doublés, triplés ou quadruplés... mais asservis à un I.L.S. unique.

On a également en cours d'essais un système donnant à tout moment de l'atterrissage la distance restante à l'extrémité de la piste.

CONCLUSION

Malgré des moyens qu'on pourrait qualifier d'artisanaux, la France est largement en tête dans le domaine des collimateurs de pilotage qui permettent de résoudre à peu près tous les problèmes qui se posent journellement à nous et que je ne puis exposer en détail faute de place (par exemple : gradients de vent, panne au décollage, etc ... ).

Il serait grand temps de dégager les crédits nécessaires au développement de l'appareil opérationnel que nous attendons et qui apporterait une contribution décisive à la sécurité des vols, tant V.F.R. qu’I.F.R., car son utilisation est exactement la même dans toutes les conditions. Cela réduirait considérablement les frais d'entraînement, ainsi que les coûts d'achat et de maintenance des systèmes automatiques que l'on pourrait simplifier beaucoup.

... Faut-il voir justement là l'explication du silence de la presse et des oppositions irréductibles de ceux qui craignent de voir échapper la justification d'importants marchés ?

Commandant René LAMI.
Février 1974