Le "collimateur de vol tête haute" : pour voir la piste dans le brouillard

 

Les avions commerciaux disposent de systèmes automatiques permettant d'assurer leur pilotage pendant pratiquement toutes les phases du vol. A l'arrivée sur un aéroport, ils sont aussi en mesure pour certain d'atterrir dans des conditions plus ou moins grandes de visibilité si le terrain est équipé de systèmes "ad hoc".

Mais les conditions les plus difficiles d'atterrissage sans visibilité exigent des équipements multiples et extrêmement coûteux, et leur utilisation ne facilite pas toujours la tâche du commandant de bord, à qui revient, seul, la décision de poser l'appareil sur la piste ou de remettre les gaz au dernier moment.

Un système nouveau, développé depuis une dizaine d'années par des équipes françaises, d'abord à l'Ecole nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace (ENSAE) de Toulouse, puis en collaboration avec la division équipements avioniques de la société Thomson CSF permet de faciliter notablement le travail du pilote, en lui donnant de manière mieux utilisable les information dont il a besoin pour prendre une décision rapide à un moment critique - celui des dernières secondes avant l'atterrissage. Plusieurs arguments, sans compter l'appui des organisations de pilotes de ligne, plaident pour la généralisation de son utilisation sur les avions futurs.

Le système de pilotage développé par l'ENSAE et Thomson CSF est un "collimateur tête haute". Ce n’est rien d’autre que ce qu’on appelle, sur un avion militaire, un viseur, ce dernier terme recouvrant d’ailleurs plusieurs choses, les opérations de tir proprement dites n’ayant pas l’exclusivité de son utilisation.

Un collimateur tête haute est un appareil donnant au pilote un information visuelle symbolique se superposant à celle qu’il reçoit du monde extérieur, quand il regarde en dehors du cockpit de l’avion. la position " tête haute " est très importante pour les atterrissages sans visibilité. En l’état actuel (en plus du fait que l’avion est piloté par les systèmes automatiques), les informations données par l’ILS (Instrument Landing System) sont présentées au commandant de bord sur des instruments disposés sur son tableau de bord. Mais comme c’est lui qui doit prendre la décision d’atterrir ou non, il doit, dans la dernière phase de l’approche, accomplir un " va-et-vient " entre ses instruments et l’extérieur, où il cherche à apercevoir les lumières de la piste à travers le brouillard.

Le collimateur de vol, au contraire, lui permet de regarder sans cesse vers l’extérieur, en disposant à tout instant, " collimatées " à l’infini (c’est-à-dire les yeux fixés au plus loin), les information essentielles à la bonne conduite de l’approche : assiette de l’avion, position par rapport à l’horizontale, conformité de la pente de descente à la pente théorique de descente, position par rapport à la trajectoire de descente.

Ces données sont fournies soit directement par le pilote (choix de certains paramètres, caractéristiques de la piste…), soit par les instruments de bord (sondes d’incidence, censeurs de vitesse, plates-formes à inertie…), soit par le sol (informations ILS). Un calculateur les met en forme, et un système optique électronique vient projeter une image sur une glace semi-transparente placée devant les yeux du pilote.

Les informations lui sont donc présentées de manière symbolique, par différents traits en figures géométriques, dont la figure 1 donne un exemple.le pilote voit en fait des appréciations sous forme d’angles, et on sait que les informations angulaires sont les plus précises parmi celles que peut mesurer l’œil humain.

Le symbole (1), en haut de la figure, représente le nez de l’avion : l’angle vertical que voit le pilote entre ce symbole et l’horizon est rigoureusement (puisque les informations sont présentées à l’infini) l’angle entre l’axe de l’avion et l’horizontale. c’est-à-dire qu’il s’agit de l’assiette de l’avion. En (2), le triangle pointe en bas montre la trajectoire de l’avion dans le plan horizontal ; en (3), le court index vertical représente la trajectoire voulue (c’est-à-dire l’axe de la piste). Les quatre lignes alignées (8), représentent le vecteur vitesse de l’avion, c’est-à-dire qu’elles donnent la pente de sa trajectoire ; les deux courts traits pointillés (5) indiquent, pour leur part, l’angle théorique de descente de l’avion, choisi par exemple en fonction du terrain et de ses caractéristiques. Il est affiché par le pilote en fonction des caractéristiques du système ILS, des réglementations locales anti-bruit etc. les deux "pointes de flèche" (4) permettent de mesurer l’évolution de la vitesse de l’avion (son accélération) : si l’avion accélère, elles viendront au dessus du vecteur vitesse, et inversement.

Une piste artificielle

Le triangle (6), en bas de la figure, mesure l’incidence choisie pour l’approche. si l’aéroport est équipé du système ILS, le pilote voit enfin apparaître un piste artificielle (7), qui viendra, dès que celle-ci sera visiblese superposer à l’image de la piste réelle (au détail près que le seuil de la piste artificielle représente le point d’impact prévu pour l’avion, et sera donc un peu plus éloigné que le seuil réel.

Dans le cas d’un aéroport équipé, le pilote peut donc, même par visibilité quasi nulle, "voir" la piste avant que les feux du sol ne percent le brouillard. Son travail consistera, à chaque instant, à s’efforcer de faire coïncider les repères représentant la vitesse (trajectoire) de son appareil, la vitesse optimale, et le seuil de la piste ; pour ce faire, il n’a besoin d’agir que sur la poignée des gaz et le manche.

Si l’aéroport n’est pas équipé d’ILS, il n’est évidemment pas question d’atterrissage sans visibilité, et, de plus, le collimateur ne dispos pas des informations dont il a besoin pour "construire" la piste ; le pilote a tout de même la possibilité d’utiliser tous les autres paramètres et aligne les données vitesse réelle et vitesse théorique avec le seuil de piste que, par définition, il voit.

Le cas représenté par la figure 1 s’interprète ainsi : l’avion a une bonne assiette horizontale : la piste n’étant pas déformée vers la droite ou vers la gauche, il est sur son axe, mais est en train de glisser vers la gauche : le triangle (2) est à gauche du repère (3). D'autre part, il est "trop long" (c'est-à-dire que si rien n'est fait, il se posera trop loin), puisque la pente choisie (5) comme la pente réelle (8) sont au dessus du seuil de la piste. Le pilote devra donc réduire les gaz, ce qui fera passer l'indice (4) sous la vitesse (8), ainsi que relever le nez de l'appareil pour amener la pointe du triangle (5) en alignement avec les autres repères.

A l'approche immédiate de la piste, à la hauteur à laquelle doit être commandé "l'arrondi", l'index (5) remonte de lui même légèrement pour en informer le pilote. De même, peut-il voir apparaître d'autres informations, comme par exemple la longueur de piste qu'il a encore devant lui pour s'arrêter.

Un changement de "philosophie"

Cette explication détaillée est, bien sûr, un peu fastidieuse, mais les images filmées au cours des nombreux essais réalisés, en fait, tout est extrêmement simple, les correction à faire par le pilote étant, les témoignages concordent, immédiatement assimilées.

Les promoteurs de ce système avancent plusieurs sortes d'arguments. tout d'abord, il permet au commandant de bord de garder constamment l'œil au dehors, son copilote gardant, comme c'est la règle, la "tête dans les instruments". Ensuite, il permet au pilote, suivant l'expression de M. Fournerat, président de la commission technique du Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL), de rester "dans la boucle" et de suivre à tout moment l'action du pilote automatique en étant prêt à reprendre les choses en main.

Au delà, estiment les partisans du collimateur, cet appareil ouvre la voie à un véritable changement de la "philosophie" du pilotage : l'équipage pilote en effet directement la trajectoire et non plus, comme c'est le cas à présent, l'assiette et la vitesse (qui déterminent la trajectoire).

Il permettrait, d'autre part, de certifier plus facilement les avions pour les atterrissages de catégorie 3A, le collimateur n'étant monté en option qu'à la demande des compagnies intéressées, en plus du pilote automatique courant.

Bien des obstacles demeurent cependant : en dépit de l'appui des organisations de pilotes (qui y voient notamment un moyen de redonner à l'équipage un rôle plus d'acteur que de simple surveillant), du succès technique des appareils essayés et de l'intérêt de certaines compagnies, les constructeurs paraissent très réticents.

La certification (homologation) d'un tel équipement risque de poser certains problèmes : à la différence d'un pilote automatique, qui peut être testé assez simplement, un collimateur fait intervenir l'individu, et les essais en vue de la certification seront complexes et coûteux, puisqu'il y faudra de nombreuses heures de simulateurs de vol : une campagne d'essais sur simulateur Mercure qui devait débuter en avril dernier n'a pu débuter faute de moyens.

L'espoir et la concurrence viendront-ils, encore une fois, d'outre-Atlantique ? la NASA et la FAA, l'administration américaine de l'aviation, qui suivent attentivement et depuis longtemps les travaux français, viennent de lancer une grande campagne d'études et de simulation des systèmes de collimation : "la locomotive américaine est en route", souligne M. Fournerat. Il est vrai que les efforts financiers relativement importants consentis par l'Etat sur ces systèmes, par le biais du service technique aéronautique, il serit dommage que la France perde l'avance indiscutable qu'elle a encore. Chez Thomson-CSF, on compte bien que la construction du futur avion européen A310 prévoira la possibilité d'installer un collimateur tête haute.

Xavier Weeger

27 septembre 1978