L’atterrissage sans visibilité
Par René Lami
Commandant de bord à la Compagnie Air France
Que le lecteur veuille bien m'excuser si j'utilise le terme " atterrissage sans visibilité " qui n'est plus à la mode, au lieu de " atterrissage tout temps ", traduction officielle de l'expression " all weather opérations " de l'O.A.C.I. (Organisation de l'Aviation Civile Internationale).
En pratique, il ne s'agit en effet que de rechercher les moyens d'autoriser les opérations par conditions de visibilité de plus en plus réduites, alors qu'il subsiste d'autres cas d'interdiction liés aux conditions atmosphériques ou à leurs conséquences.
Interdictions d'atterrissage
Sur les aéroports très fréquentés, la plus commune de ces interdictions résulte de l'impossibilité d'attendre trop longtemps son tour d'atterrissage. L'avion qui n'a plus assez de réserves de carburant n'a aucune priorité et doit quitter le circuit d'attente pour aller atterrir sur un aérodrome de dégagement. La durée de l'attente n'est que peu affectée, en général, par les conditions de visibilité, mais elle l'est davantage lorsqu'il faut changer le sens d'atterrissage à la suite d'un changement de vent.
Il existe d'autres interdictions dues à l'état de la piste d'atterrissage : neige épaisse, " slush " (neige imbibée d'eau), verglas, piste inondée, ou encore obstruction par un avion accidenté qu'on ne peut dégager rapidement.
On peut encore citer les limites de vent de travers, ou de vent arrière, qui varient selon le type de l'avion et l'état d'adhérence de la piste.
Les pannes d'aides lumineuses ou radioélectriques peuvent aussi constituer des cas d'interdiction.
Les exemples énumérés ci-dessus suffisent à justifier la nécessité d'emporter des réserves de dégagement et à empêcher de prévoir l'époque où l'on pourra garantir, de façon absolue, à nos passagers, l'atterrissage à la destination prévue.
Hormis le cas d'attente exagérée, la cause la plus fréquente d'interdiction reste celle de réduction de la visibilité.
Le brouillard
Les fortes précipitations de Pluie ou de neige sont plus gênantes par leurs conséquences (piste inondée ou couverte d'une forte épaisseur de neige) que par la réduction de visibilité qui en résulte, car celle-ci est généralement de courte durée.
Le brouillard s'établit le plus souvent pour une durée supérieure à celle pendant laquelle l'avion peut attendre, et c'est la cause la plus fréquente et la plus irritante des déroutements.
La plus irritante, surtout.
En effet, la réalité des progrès techniques est souvent mal connue du public, qui s'étonne :
"Comment, à l'époque où des hommes ont marché sur la Lune, où l'on a pu les guider à distance avec une extraordinaire précision, où l'on a pu compter jusqu'aux battements de leurs cœurs, un vulgaire brouillard peut-il empêcher un jet d'atterrir ? " Et quand ce public est passager d'un vol dérouté, l'étonnement fait place à l'indignation : ne l'a-t-on pas complaisamment abreuvé de littérature et de publicité vantant les merveilles de l'atterrissage automatique ?
Le pilote que je suis, et qui s'est intéressé à la question depuis longtemps, s'indigne aussi.
Mais pour des raisons un peu différentes.
Beaucoup de mes camarades, qui partagent avec moi la nostalgie de voir approcher la fin de leur carrière, se souviennent d'atterrissages effectués il y a plus d'un quart de siècle, dans des brouillards réduisant la visibilité à des valeurs bien inférieures à celles des minima d'atterrissage officiellement en vigueur aujourd'hui.
J'attends les objections : " mais il s'agissait d'avions lents et qui se posaient sur des terrains en herbe "... et j'y réponds que les vitesses d’atterrissage n'ont pas tellement augmenté, et en tous cas, pas dans la proportion des vitesses de croisière, que cela s'est effectué sur des pistes en béton (et non seulement sur des surfaces en herbe où la précision de l'alignement importait évidemment moins). J'ajouterai que cela se pratiquait aussi à l'entraînement " sous capote ", donc sans visibilité du tout.
Enfin et surtout, il est nécessaire de rappeler que depuis ce quart de siècle, mes camarades de la " Postale " se posent dans le brouillard avec une régularité si désarmante... qu'elle jouit d'une remarquable discrétion!
Alors? Comment expliquer cette stagnation en matière d'atterrissage sans visibilité, pendant que les progrès allaient à pas de géant dans les autres domaines ?
Je suis persuadé qu'il faut en chercher la raison dans le simple fait qu'on a attaqué le problème à l'envers.
Si l'on excepte les essais de dissipation du brouillard, qui dans l'ensemble sont plutôt décevants parce que coûteux, limités à quelques aéroports, et entraînant parfois des effets secondaires gênants (givrage des routes avoisinantes dans le cas des " brouillards négatifs " ou- turbulence dans le cas de soufflage d'air chaud), on pouvait imaginer deux voies :
Le malentendu
Evidemment, on a choisi la première voie, car depuis toujours existe le sentiment que l'homme est dépassé par sa création.
Faut-il rappeler qu'aux tous débuts du chemin de fer, les " beaux esprits " proclamaient que les voyageurs périraient asphyxiés par l'incroyable vitesse du monstre ?
Que l'on a cru les pilotes des premiers aéroplanes dotés de réflexes proprement surhumains?
... Et que chaque fois qu'un nouvel avion est entré en service, que ce soit en escadrille ou en ligne, on a prétendu (avec plus ou moins de bonne foi) que seule une élite pourrait dompter cet animal ombrageux !
Souvenons-nous aussi de l'arrivée en ligne des jets. On les avait dotés d'appareils réputés indispensables pour pallier les insuffisances humaines aux " énormes " vitesses atteintes, sur des machines de très grande masse aux caractéristiques spéciales.
L'expérience a prouvé que la plupart de ces appareils " indispensables " n'étaient que des gadgets dont certains ont été purement et simplement démontés.
La même campagne va reprendre pour les futurs supersoniques.
Pourtant, dans un domaine de vitesses autrement plus élevées et dans un environnement autrement plus délicat, on commence à découvrir les inestimables services que peut rendre l'homme.
Je veux parler du Cosmos, où l'URSS, qui avait préconisé l'utilisation d'engins entièrement automatiques, tire les leçons de l'expérience américaine, laquelle a prouvé que l'homme pouvait parfaitement piloter et intervenir dans des situations imprévues.
L'enjeu
Ce sentiment de l'impuissance de l'homme a joué son rôle dans le choix de la voie à suivre pour aboutir à l'atterrissage sans visibilité.
Sans doute a-t-on pensé qu'un tel atterrissage ne pourrait plus être confié à l'homme pour les avions des générations futures, " si délicats " à piloter, et qu'il fallait s'attaquer tout de suite au système définitif plutôt que de procéder par amélioration de ce qui existait.
Ce raisonnement était évidemment excellent pour justifier les crédits de mise au point des systèmes automatiques, d'autant plus qu'il conduisait à tarir ceux qui risquaient d'alimenter l'étude de moyens mis à la disposition du pilote.
On assiste ainsi à une superbe démonstration par l'absurde : privons le pilote d'instruments (ou laissons-lui seulement des instruments inadaptés) et, d'autre part, donnons au pilote automatique des informations " de luxe " : il sera prouvé indiscutablement que seul ce dernier permet la solution.
Or, c'est à peu près ce qui se passe une fois tout le monde convaincu ou feignant de l'être, il ne reste plus qu'à en passer par l'achat des systèmes automatiques (souvent triplés, quadruplés ou équipés de tout un système de protection pour atteindre le niveau de sécurité indispensable), et à équiper les aéroports des installations perfectionnées qu'ils exigent.
On conçoit que l'enjeu soit de taille pour les fabricants de matériel et tous ceux dont l'intérêt est proportionnel à l'importance des marchés traités.
Mais il serait navrant d'y voir la cause de l'opposition à la mise au point de systèmes plus simples qui permettraient au pilote humain de faire aussi bien - ou mieux - à moindres frais.
I'abaissement des minima d'atterrissage
Actuellement (1969), aucun avion de ligne n'est autorisé à atterrir sans visibilité en exploitation normale.
L'administration compétente fixe des minima d'atterrissage précisant les conditions de visibilité et, dans certains cas, de plafond, au-dessous desquelles il est interdit d'atterrir.
Les valeurs prescrites sont fonction des particularités de la piste, de son balisage, des caractéristiques du guidage radioélectrique, de l'avion utilisé et parfois aussi des qualifications de l'équipage.
Elles correspondent généralement aux catégories définies par l'OACI, lesquelles peuvent être regardées comme les étapes à franchir avant de parvenir au " zéro-zéro ".
Jusqu'où aller ?
Il peut être bon de se poser ici la question et de tenter une réponse rapide qui n'aura certes pas la prétention d'être définitive !
Je pense que les problèmes annexes seront plus longs et difficiles à résoudre que celui de l'atterrissage proprement dit, pour lequel des solutions sont à portée de la main (pourvu qu'on veuille bien la tendre et cueillir le fruit).
Je ne ferai qu'évoquer ici ces problèmes annexes :
Autrement dit, on ne peut envisager des opérations régulières, rentables et sûres par visibilité quasi nulle, que si les transports de surface peuvent fonctionner.
Est-ce à dire qu'on pourrait se contenter, pour l'avion, de moyens reposant sur la nécessité d'une certaine visibilité, au moins en fin d'atterrissage ? de terminer un atterrissage entrepris, même si un " bouchon " de brouillard imprévu réduit brusquement la visibilité ?
Or ce risque est d'autant plus fréquent que l'on réduit les minima, et il existe par conséquent pour des valeurs de visibilité faibles, mais qui n'empêchent pas les voitures de circuler.
C'est donc plus, à mon avis, pour des questions de sécurité que de rentabilité qu'il est nécessaire que l'avion soit équipé de moyens lui permettant de terminer l'atterrissage et de dégager la piste et les voies de circulation.
Les catégories de l'O.A.C.I.
Rappelons les " étapes " fixées par l'OACI
CATEGORIE I
Opérations conduites jusqu'à des conditions de 60 mètres (200 feet) de plafond et 800 mètres de visibilité.
CATEGORIE II :
Opérations conduites jusqu'à des conditions de 30 mètres (100 feet) de plafond et 400 mètres de visibilité.
CATEGORIE III :
Cette catégorie se subdivise elle-même en trois, pour lesquelles la notion de plafond disparaît; on ne fixe plus que la valeur de visibilité :
IIIa : jusqu'à 210 mètres (700 feet) de visibilité.
IIIb : jusqu'à 45 mètres (150 feet) de visibilité.
IIIc : aucune restriction de visibilité.
Utilisation des minima
Les valeurs de minima accordés ne correspondent pas obligatoirement aux valeurs de ces catégories : il existe, et a existé des étapes intermédiaires. Mais, dans tous les cas, il existe toujours une " hauteur de décision " et une valeur de visibilité qu'il faut respecter.
Sur le plan opérationnel, le pilote peut " aller voir " si la valeur de plafond (ou visibilité verticale) transmise est au moins égale aux deux tiers de sa hauteur de décision. Mais si, arrivé à cette hauteur, il n'a pas une visibilité suffisante, il doit remettre les gaz.
En ce qui concerne la visibilité, une valeur lui est transmise. Cette valeur représente la visibilité horizontale déduite d'une mesure de transparence d'un échantillon d'atmosphère au voisinage de l'entrée de piste.
Cette valeur est réputée exacte jusqu'au moment où le pilote entreprend son approche : c'est-à-dire qu'il n'a pas le droit de la commencer si le chiffre transmis est au-dessous du minimum prescrit. Par contre, si l'approche est commencée (après le passage de la " porte " ou " outer marker "), il peut continuer, quel que soit le chiffre transmis : c'est à lui de juger si la visibilité réelle est suffisante quand il atteint sa hauteur de décision.
On considère qu'il est difficile de transmettre une nouvelle valeur de visibilité au pilote à un moment où il est très occupé. En outre, cette valeur risque d'être entachée d'erreur. En effet, ce qui intéresse le pilote est la visibilité oblique. Or il n'existe pas de moyen de la mesurer directement : on ne fait que l'estimer à partir de la mesure de transparence dont j'ai parlé plus haut. D'autre part, si une aggravation s'est produite au point de mesure pendant l'approche finale de l'avion, cela ne signifie pas obligatoirement qu'il en sera de même au moment où l'avion arrivera sur la piste.
A quoi sert la visibilité ?
Cette question anodine et apparemment simpliste mérite cependant qu'un pilote essaie d'y répondre.
En catégorie I (et au-dessus) : à piloter et à guider l'avion par observation des repères extérieurs.
En catégorie IIIc... à rien, évidemment!
Mais entre les deux?
La question devient plus subtile qu'il n'y paraît. Car plus on réduit les minima, plus le rôle des instruments devient vital.
Le rôle des repères visuels reste important, mais il change de nature. Ces repères deviennent insuffisants pour donner une notion de la position de l'avion dans l'espace, mais ils peuvent confirmer la bonne exécution de l'approche (manuelle ou automatique). D'autre part, aux faibles minima, le risque de " bouchon " de brouillard peut réduire brusquement la visibilité à une valeur très inférieure à celle existant à l'instant précédent, et une partie des repères devient inutilisable. Le seul qui soit pratiquement toujours utilisable est le- balisage de la ligne médiane.
Il y a donc un changement progressif dans l'utilisation des repères visuels avec l'abaissement des minima. De moyen de pilotage et de guidage, ils deviennent moyen de guidage seulement, puis perdent même cette possibilité pour n'être plus que confirmation de la position sur la piste.
Comme ils peuvent à tout moment devenir insuffisants pour guider l'avion, il y a donc une limite au-delà de laquelle le pilote doit disposer d'instruments de bord assez précis pour lui permettre de terminer un atterrissage jusqu'à l'arrêt de l'avion (soit manuellement, soit en contrôlant un pilote automatique).
Pour ma part, je considère la catégorie Il comme une limite raisonnable. Sans doute existe-t-il actuellement des autorisations d'aller plus bas, sans les instruments adéquats. Malgré les palliatifs qui justifient ces cas particuliers, la solution n'est pas satisfaisante.
Moyens de guidage
Le reproche essentiel qui puisse être adressé à tout système actuellement en service ou aux essais est qu'il repose sur un unique moyen de guidage. Celui-ci est, dans presque tous les cas, l’ILS (Instrument Landing System).
Comme ce système ne permet pas de commander l'arrondi d'atterrissage, mais ne fait que guider l'avion jusqu'à la piste, le terme est impropre... bien que consacré.
La " fiabilité " du système est obtenue au moyen d'un second émetteur prêt à être commuté quasi-instantanément en cas de panne du premier, et par un " monitoring " qui permet de couper l'émission si la position du faisceau s'écarte des tolérances fixées. Cela serait parfait si la fiabilité du transfert l'était aussi, et si le monitoring pouvait garantir la position géographique du faisceau vers l'entrée de piste.
Or il est admis que la fiabilité d'un transfert est insuffisante (exemple : on a abandonné le principe de pilotes automatiques multiples transférables au profit de systèmes " multiplex ", triples au minimum, et qui demeurent simultanément embrayés).
D'autre part, si le monitoring détecte un écart après un transfert, il va logiquement couper l'émission du second émetteur, et l'on est ramené au cas de non-transfert.
Mais il y a plus gênant : c'est que le monitor est situé en " aval de " la piste, près des antennes.
Or l’ILS peut être perturbé par des phénomènes de réflexions parasites qui peuvent varier lentement dans le temps ou présenter un caractère fugitif.
Le déplacement de masses métalliques à proximité d'un ILS est une cause de déviations : un avion en vol sur l'axe perturbe celui-ci pour l'avion qui le suit. Une file de gros avions en attente de décollage, bien qu'assez loin de l'axe, peut également être cause de perturbations. Mais le monitor, placé près des antennes, ne détecte pas ces anomalies. Si on le plaçait en " amont " (un peu avant l'entrée de piste), il risquerait de provoquer des coupures intempestives dès qu'un avion aurait passé sa verticale.
La solution n'est donc pas facile. La création d'ILS dits " à faisceaux étroits ", en concentrant l'énergie rayonnée, a réduit un peu le défaut sans toutefois le faire disparaître.
Les multiples travaux, recherches, ou conférences qui continuent sur ce sujet prouvent surabondamment que la solution n'est pas encore trouvée. L'une des difficultés est que le remplacement de l’ILS par un système différent conduirait à des frais d'installation considérables, tant au soi qu'à bord, et qui ne seraient justifiés que dans des cas peu fréquents.
Mais à supposer que les obstacles techniques et même financiers soient levés, la pire difficulté serait probablement de mettre tout le monde d'accord sur le choix d'un nouveau système, chaque pays ayant son opinion. (La vieille querelle VOR-DME contre Decca n'est pas encore terminée malgré l'apparente victoire du premier).
Cadences d'atterrissage
On a vu que la présence d'un avion sur l'axe perturbe le faisceau pour ceux qui sont derrière. Cela conduit à la nécessité de " nettoyer " la trajectoire pour les avions autorisés à faire les approches automatiques (les conséquences des perturbations vont d'une agitation, excessive des gouvernes à des déviations de trajectoire). Ceci fait partie des précautions spéciales prises en France pour justifier des minima très bas accordés à une compagnie qui utilise un système automatique. Si le système se généralisait, ceci conduirait à des cadences d'atterrissage trop faibles.
D'où l'intérêt de trouver un moyen de guidage exempt de ces inconvénients.
Le second moyen de guidage
Les difficultés et le temps nécessaire pour implanter un système destiné à remplacer l’ILS m'amènent à la conclusion qu'il est préférable de le conserver, malgré ses petits défauts (que l'on peut toujours travailler à réduire encore) mais qu'il faut impérativement le doubler par un moyen de principe distinct, qui le compléterait au moins dans la partie cruciale de l'approche et l'atterrissage (disons à partir de 500 pieds).
Si la portée était de l'ordre de celle de l’ILS, cela serait préférable, car un contrôle mutuel serait possible tout au long de l'approche.
Je suggère, pour ma part, un moyen aéroporté n'utilisant au soi qu'une infrastructure passive. (Des systèmes de radar n'utilisant pas d'infrastructure du tout, et donnant l'image de la piste sont actuellement proposés).
Ici encore, on se heurte à l'opposition des champions de la solution purement automatique. En effet, il est difficile, même avec une " logique " appropriée, de coupler simultanément un pilote automatique à deux moyens de guidage, surtout s'ils sont de principe très différents.
C'est pour assurer le triomphe de l'atterrissage automatique, je le crains, que l'on s'oriente vers un système de guidage unique, exempt des défauts de l’ILS, au lieu de la solution raisonnable d'un guidage vraiment doublé.
Il semble que l'on ait totalement confondu le but à atteindre et le moyen. N'oublions tout de même pas que le but c'est d'atterrir sans visibilité, ce n'est pas de faire un atterrissage automatique ! Le pilote automatique ne doit pas être une fin en soi, mais une aide (d'ailleurs très appréciée).
La responsabilité
Ceci m'amène au problème de la responsabilité.
Les pilotes de ligne, par la voix de leur Fédération Internationale (IFALPA) ont nettement affirmé que le pilote doit rester responsable du vol, du départ jusqu'à l'arrivée.
il ne saurait donc être question de l'autoriser à descendre avec un système automatique dans des conditions où il ne pourrait efficacement intervenir, c'est-à-dire, en pratique, là où ses instruments de bord ne l'autorisent pas à se trouver en pilotage manuel. Car si le pilote humain peut atterrir quand il est à vue mais ne le peut pas aux instruments, c'est que ces derniers sont insuffisants et il ne peut pas non plus contrôler le travail de son pilote automatique.
A mon sens, tout progrès de l'atterrissage automatique passe par un progrès préalable des instruments de bord, pour que le pilote puisse garder sa responsabilité effective.
L'anachronisme des instruments de bord
Aussi surprenant que cela puisse paraître aux personnes non averties, les instruments de bord n'ont pas fait de progrès décisifs depuis un quart de siècle, à l'exception de l'introduction des radiosondes. (Il faut y voir l'explication de la " stagnation " dont je faisais état plus haut).
Bien entendu, il y a eu des changements : l'aspect s’est amélioré, la disposition s'est standardisée, les altimètres sont devenus plus précis.
Les gyroscopes aussi sont meilleurs, mais on les place maintenant à distance, et la retransmission introduit souvent des erreurs supérieures au gain de précision escompté. Ce gain de précision est parfois illusoire à cause de la conception même d'un appareil.
Je citerai en exemple l'horizon artificiel, qui reste essentiel pour le pilotage. Cet instrument doit être lu, par le pilote, à une distance qui est de l'ordre de 0,85 mètre. Il existe en outre toujours une petite erreur de parallaxe. lin gain de précision qui conduirait à quelques centièmes de millimètres serait parfaitement inutile.
Il faut alors accroître la sensibilité de l'appareil, c'est-à-dire la grandeur de déplacement de la barre d'horizon par rapport à la maquette, pour un écart angulaire donné. Mais on est très rapidement limité dans cette voie par la nécessité de couvrir toute la gamme d'" assiettes " que peut prendre l'avion, sans dépasser une dimension de cadran incompatible avec la surface du tableau de bord.
Livrons-nous à un petit calcul bien simple.
Quand l'avion fait un changement d'assiette réel de 1 degré, la barre d'horizon a un déplacement standard de 0,85 millimètre. Puisqu'on la voit à 850 millimètres, le débattement angulaire, vu de l'oeil du pilote, est de :
0,85 / 850 = 1 / 1000è de radian ou 1 / 17è de degré
Autrement dit, les repères visuels extérieurs bougent dix-sept fois plus que sa barre d'horizon !
On a pu accroître cette sensibilité par des artifices : par exemple en la portant à 1,4 millimètre par degré (ce qui ne fait encore que le dixième de la réalité), mais au prix d'une limitation du débattement, ou bien en utilisant une échelle logarithmique, ce qui offre l'inconvénient d'une sensibilité variable, ou encore grâce à un fond tournant cylindrique. Les deux premiers procédés devraient être rigoureusement interdits en raison des dangers d'utilisation aux assiettes atteignant ou dépassant 15 degrés (blocage réel ou apparent de la barre). Seul le dernier procédé - ou ses dérivés - est acceptable, mais dans tous les cas on reste fort loin de la sensibilité " naturelle " qui donne une précision idéale, car elle correspond aussi aux réflexes normaux de pilotage.
Le directeur de vol
Voilà, dira-t-on, un instrument de bord qui constitue un progrès essentiel et qui n'existait pas il y a un quart de siècle!
Bien sûr. Mais c'est un instrument particulier. Car il s'agit non pas d'un instrument qui permet de contrôler le vol, mais de le commander : c'est un semi pilote automatique, où le pilote humain joue le rôle de servomoteur chargé de remettre des barres ou des index à zéro, en agissant sur les gouvernes dans le sens indiqué. (Le premier directeur de vol s'appelait d'ailleurs " Zero-Reader ").
En France, les pilotes civils doivent être susceptibles, car ils appellent les indications de l'instrument " barres de tendances ", tandis que les anglo-saxons (qui ne font pas de complexes) les appellent " command bars " et que dans l'armée (où l'on a l'habitude) cela se dit tout simplement " les ordres ".
Il s'agit donc bien d'un instrument d'exécution.
Son emploi est très commode et tous les avions modernes en sont pourvus. Il offre l'avantage de faire la synthèse de différentes informations pour en déduire un ordre simple. Par exemple, si l'avion est à droite de l'axe de l’ILS, mais qu'il est en évolution à gauche, l'index au centre signifie : restez comme ça ; à gauche, il signifierait : revenez plus vite à gauche; à droite, il signifierait desserrez le virage, vous revenez plus vite que prévu. Citons encore parmi les avantages la possibilité de faire varier à volonté, et même selon la phase du vol, l'importance de tel ou tel paramètre. On peut ainsi augmenter - ou réduire - la sensibilité de l'appareil.
En contrepartie, s'il s'avère nécessaire d'accroître la sensibilité pour pallier l'insuffisance des instruments classiques, alors ceux-ci ne peuvent valablement servir de moyen de contrôle. On a donc été tenté de contrôler le pilote automatique par le directeur de vol, puisque ce dernier peut être rendu aussi sensible qu'on le désire et que les autres instruments sont insuffisants. C'est oublier, justement, que le directeur de vol n'est qu'un instrument d'exécution qui, dans le cas où on l'utilise pendant une approche automatique, ne peut qu'indiquer comment il agirait, lui. S'il est alimenté par le même calculateur que celui du pilote automatique, il sera toujours d'accord ou ne permettra que de vérifier le bon fonctionnement des servocommandes. Si, comme c'est nécessaire à des fins de contrôle, il est alimenté par un calculateur et des sources distinctes de celles du pilote automatique, il est fort possible qu'il y ait désaccord bien que l'approche soit correcte.
L'exemple le plus classique pour expliquer ceci est celui où le pilote automatique corrige la dérive du vent par un système intégrateur (annulation de l'écart de cap au bout d'un certain temps) alors que le directeur de vol fait cette correction par un système différentiateur (écart radio corrigé de la vitesse de cet écart) : l'un est en " retard de phase " et l'autre en " avance de phase ". L'un ou l'autre des deux moyens guiderait l'avion correctement, et pourtant ils ne sont jamais d'accord !
Sans aller jusque-là, les réglages de deux systèmes distincts ne peuvent pas être exactement semblables, et l'on ne peut valablement contrôler l'un par l'autre.
La transition
Une visibilité vraiment nulle ne se rencontre pratiquement jamais, même dans les brouillards made in England. Il arrive toujours un moment où le pilote y voit et regarde, ou a tendance à regarder dehors. Selon la valeur de la visibilité, il y aura transition complète du vol aux instruments au vol à vue, ou bien le pilote aux commandes restera " aux instruments " et l'autre annoncera ce qu'il voit, ou bien le pilote aux commandes regardera " du coin de l’œil " passer les balises, ou encore, au dernier moment, le pilote qui regardait dehors reprendra les commandes pour terminer à vue, s'il estime la visibilité suffisante.
Il serait évidemment préférable de voir au dehors sans perdre la vue des instruments, mais actuellement il faut passer de l'observation de la planche de bord à celle du monde extérieur et parfois revenir aux instruments pour regarder à nouveau dehors.
Il y a donc transition, due non seulement au temps d'accommodation de l’œil, nais aussi au changement du processus mental de pilotage : la représentation instrumentale conventionnelle diffère en effet complètement de celle du monde extérieur, tant par la nature des repères que par la grandeur des déplacements auxquels il faut réagir.
Les instruments à collimation
On en vient tout naturellement à imaginer une nouvelle génération d'instruments qui utiliseraient le principe optique bien connu des collimateurs de tir des avions. A la place des informations de tir, il suffirait de donner des informations de vol.
Ceci a été réalisé, en France et à l'étranger, Mais tandis qu'ailleurs on semble s'orienter vers une conception d'appareils (connus sous le nom de Head-Up Displays ou HUD) qui sont surtout des directeurs de vol, un constructeur français a mis au point un appareil où il y a un directeur de vol mais aussi les informations de base. (Voir dessin).
Le principe utilisé, qui donne des images vues " à l'infini " à travers le pare-brise, supprime pratiquement le problème de la transition et il permet d'obtenir une précision et une fidélité des informations impossibles à atteindre avec les appareils classiques de planche de bord.
Les essais de l'appareil ont été très encourageants, car ils ont mis en évidence une précision de pilotage manuel inconnue jusque-là, ainsi qu'une grande rapidité et facilité d'adaptation des pilotes.
En particulier, des enregistrements d'approches effectuées sans visibilité ont démontré que les pilotes obtenaient avec régularité et facilité des résultats identiques à ceux du système d'atterrissage automatique utilisé (essais au CEV de Brétigny).
Il a été possible de porter la sensibilité de la barre d'horizon à la valeur 1 / 1, de sorte que l'image de cette barre reste fixe par rapport à l'horizon vrai, quels que soient les mouvements de l'avion. Ceci a permis, accessoirement, de disposer d'une indication de pente d'approche lorsque la piste est en vue.
Bien que ce ne soit pas réalisé, l'appareil est susceptible de recevoir les indications d'un second moyen de guidage du genre de celui que j'ai suggéré plus haut.
Ces indications pourront être schématisées sous formes d'images qui viendraient se superposer à celle de la piste réelle au moment où celle-ci deviendrait visible.
Le pilote pourrait ainsi vérifier de façon très simple, durant toute l'approche, que les indications des deux moyens de guidage restent en coïncidence.
Les instruments à collimation ont d'immenses possibilités, aussi peut-on en tirer le meilleur et le pire : les uns voudraient " tout " mettre dans l'instrument, qui serait alors surchargé par des repères d'informations que l'on pourrait continuer à fournir sous forme classique, les autres voudraient le simplifier au point de n'en faire qu'un instrument de synthèse, autrement dit un directeur de vol.
Entre ces deux extrêmes, j'espère que l'expérimentation en ligne permettra de dégager la solution de bon sens réservant la technique de collimation aux informations indispensables (en principe celles qui donnent l'essentiel des repères extérieurs et certaines autres facilitant le pilotage à vue).
A ce sujet, il est intéressant de noter que, sur l'appareil français, le pilote peut, à volonté, éteindre ou réduire la luminosité de certaines informations devenues inutiles dans une phase de vol donnée.
Conclusion
Les instruments à collimation, par la précision de pilotage qu'ils autorisent, permettent enfin un contrôle efficace d'un pilote automatique, puisque l'exécution manuelle de l'atterrissage peut se poursuivre jusqu'au sol.
Toutefois, tout comme pour l'atterrissage automatique, on ne devrait pas envisager d'aller aux minima de la catégorie III tant que le moyen de guidage n'est pas doublé.
L'utilisation d'un radar de bord " éclairant " des dipôles, " responders " ou réflecteurs passifs, disposés dans le balisage de la piste et permettant d'en restituer l'image dans un collimateur, me paraît la solution la plus simple. Les frais d'installation et d'entretien de réflecteurs passifs seraient négligeables, les risques de panne inexistants, et l'on pourrait en équiper toutes les pistes. Seule l'installation de bord devrait comporter un système d'alarme et de protection contre les pannes.
Les pistes équipées d'lLS deviendraient ainsi accessibles sans restriction de visibilité (guidage doublé) et celles qui n'auraient que les réflecteurs seraient utilisables avec des minima d'atterrissage comparables à ceux
Les graphiques ci-dessus représentent les enregistrements d'approches effectuées à Brétigny le même jour, successivement par le pilote automatique, puis par un pilote humain Utilisant le viseur expérimental C. S. F. type 191 dont le directeur de vol est alimenté par les informations A. T. T. en provenance du calculateur Sud-Lear. On notera en particulier elle les écarts localizer sont de la même qualité tout au long de l'approche pour le PA et pour le pilotage manuel au viseur (ces écarts sont de l'ordre de grandeur du " bruit " de l' ILS).
On notera également que les écarts glide restent faibles et en outre que la courbe de l'approche manuelle est pratiquement superposable à celle de l'approche automatique, de sorte que les petits écarts constatés sont probablement imputables au glide lui-même.
A gauche :
FIGURATION PRESENTEE AU PILOTE EN APPROCHE
- L'avion est cabré (10° d'assiette) et légèrement en virage à gauche; il est à droite du faisceau " localizer " et au-dessous du " glide " (les écarts étant à l'intérieur des écarts excessifs : + 15 microampères pour le Loc et ± 65 microampères pour le glide); - Le directeur de vol donne au pilote l'ordre de continuer à cabrer et à virer à gauche. Vitesse : 120 nœuds altitude radio : 80 pieds.
Cap : 100° vitesse verticale : 700 piedslminute.
Voyant ambre allumé : s'est allumé à la hauteur de décision, par exemple 100ft
Voyant X allumé : figuration asservie à la dérive avion.
COULEUR DES RETICULES
vert
altitude radio
barre horizon
échelle d'ansiette
repères de rotilis
orange
maquette avion
vitesse
cap
écarts excessifs
glide
rouge
repère Loc
repère Glide
blanc
directeur de vol
vitesse verticale
Remarque : à 50 pieds, le deuxième voyant ambre va s'allumer (début d'arrondi). Avant le toucher des roues, la barre verticale orange (à droite de l'index Vz) devra être occultée pour toucher à moins de 300 piedslminute. Si on approche, Vz devient excessive, la barre verticale devient rouge en dessous de - 700 piedslminute.
actuellement en vigueur avec les ILS non doublés.
Une grande quantité d'aéroports actuellement non équipés d’ILS deviendrait ainsi accessibles aux mêmes minima que ceux qui en sont pourvus, et à très peu de frais. L'intérêt économique est si évident qu'il justifie l'urgence de la mise au point d'un tel système.
... Et le pilote automatique ?
Je pense qu'il gardera un rôle très intéressant dans les conditions de très basse visibilité, car il constituera un moyen supplémentaire que l'on pourra constamment comparer aux autres informations.
Mais il ne sera plus nécessaire de le doubler, tripler ou quadrupler, ou encore de le protéger par une foule de " sécurités " : il suffira que les pilotes puissent le débrayer ou le déphaser à coup sûr en cas d'anomalie.
Ayant défendu depuis longtemps la philosophie ci-dessus, j'ai été accusé d'être " contre les boîtes noires ". J'espère que le lecteur verra qu'il n'en est rien, car les instruments et moyens suggérés y font largement appel.
Mais il est tout de même plus logique de voir les pilotes exposer leurs besoins et les techniciens tenter de les satisfaire plutôt que de voir, à l'inverse, les fabricants imposer leur point de vue dans un domaine dont ils ne peuvent comme l'utilisateur, connaître tous les aspects.
Les pilotes sont bien placés pour juger de la valeur des automatismes qu'ils utilisent. La réaction apparente contre l'atterrissage automatique n'est nullement causée par un réflexe de " Jacquerie " : un avion ne fait toujours qu'un vol et un atterrissage à la fois!
Mais on commence seulement à maîtriser la technologie apportant la fiabilité suffisante pour laisser un pilote automatique embrayé jusqu'au sol.
L'homme ayant prouvé qu'il peut faire aussi bien avec des " outils " appropriés, on ne peut dire qu'il soit dépassé par la technique. Avec des tels " outils " le pilote automatique restera le serviteur précieux qu'il ne doit pas cesser d'être.
René LAMI