AMELIORATION DES INSTRUMENTS DE BORD PERMETTANT LE CONTROLE DE L'AVION JUSQU'AU SOL

par René LAMI
Commandant de Bord

Secrétaire Général de l'A. P. N. A.

 

NECESSITE DE L'ATTERRISSAGE SANS VISIBILITE

Il semble que cette nécessité ne soit plus discutée, d'autant plus que des chiffres ont été publiés sur les pertes résultant les Compagnies Aériennes de la nécessité de dégager sur un aérodrome de secours quand les conditions minima réglementaires de plafond et de visibilité n'existent pas au terrain de destination.

En plus de ces frais que l'on peut calculer comme la consommation de carburant supplémentaire et la pénalisation du transport de carburant, l'immobilisation l'avion, les taxes d'atterrissages, l'hébergement des passagers, il est d'autres pertes plus difficilement chiffrables telles les perturbations dans les rotations avions ou des équipages ou le mécontentement du passager qui se retrouve fois à des centaines de kilomètres de destination et, obligé de prendre le train, " jure qu'on ne l’y reprendra plus ".

Il est quasi-certain, et ceci est surtout vrai pour les courtes distances, que le transport aérien gagnerait beaucoup de passagers si ceux-ci ne craignaient pas qu’un déroutement à l'arrivée ne leur fasse perdre tout le bénéfice escompté de la vitesse.

Cependant, les conditions de visibilité ne sont pas les seules causes de déroutement - citons :

- Avion accidenté sur la piste d'atterrissage sans visibilité (dans le cas fréquent où une seule piste est équipée des moyens nécessaires).

- Vent traversier supérieur à la limitation avion.

- Piste inondée ou recouverte de neige ou de verglas.

- Moyens de radioguidage au sol en panne.

- Moyens de radioguidage à bord en panne.

- Vents plus défavorables que prévu ne permettant plus l'arrivée avec les réserves nécessaires pour couvrir les cas ci-dessus.

Si les cas de déroutement les plus fréquents à cause des minima actuels, sont dus aux conditions de visibilité, les autres cas qui viennent d'être énoncés sont sans doute plus nombreux que ceux assez rares tout de même du zéro-zéro pratique (disons visibilité verticale inférieure à 15 m et horizontale inférieure à 50 m).

Aussi, l'effort supplémentaire pour passer d'un abaissement substantiel des minima au zéro-zéro n'est il peut-être pas tout à fait justifié.

MOYENS ENVISAGES.

Le récent Congrès de Lucerne vient de confirmer que l'on s'oriente vers un programme en trois phases. La première consiste à ramener les minima des "jets" à la valeur de ceux des avions conventionnels (c'est-à-dire 200' et 800 m) et elle est partiellement réalisée soit manuellement soit par des moyens semi-automatiques.

La seconde abaisserait les minima à 100' de plafond et 400 m de visibilité.

La troisième permettrait l'atterrissage complet sans visibilité, mais elle implique la solution de problèmes connexes tels que le roulement en décélération, le dégagement de la piste, et l'arrivée au point de stationnement toujours sans visibilité.

Or, dès avant la guerre, on était presque parvenu à la troisième phase, avec des moyens rudimentaires. Après la guerre, en 1946, alors que la réglementation des minima n'existait pas encore, de nombreux atterrissages ont eu lieu par des visibilités pratiquement nulles, à Londres en particulier. Enfin, le fait indiscutable et permanent de la Postale de nuit est là, avec son étonnante régularité de plus de 99 %, ce qui prouve qu'avec des moyens rudimentaires mais des équipages entraînés, d'excellents résultats sont atteints. Une amélioration relative des moyens donnés à l'équipage permettrait d'atteindre au moins les buts de la deuxième phase.

Pourtant le souci d'atteindre au résultat final par des moyens identiques semble être l'une des raisons majeures des efforts déployés en faveur des systèmes purement automatiques.

Bien entendu, tout le monde n'est pas d'accord. Selon l'acuité des difficultés climatiques rencontrées, ou les espoirs mis dans un matériel déjà réalisé, on assiste à des prises de position différentes. Ainsi en Grande-Bretagne où les brouillards épais sont très fréquents on s'oriente davantage vers des solutions purement automatiques où grâce à un degré de redondance élevé, le taux de sécurité de fonctionnement escompté serait tel que le pilote humain n'aurait plus à intervenir dans la phase atterrissage.

Aux Etats-Unis, bien qu'il y ait une forte tendance vers les dispositifs automatiques on est pourtant plus nuancé et on insiste généralement sur la nécessité de garder un pilote " in the loop " avec possibilité de contrôle et d'intervention en cas de difficulté.

La NASA, au congrès de Lucerne, a même pris une position encore plus nette (sans doute instruite par l'expérience des vols orbitaux) en faveur de dispositifs permettant l'atterrissage manuel grâce à des références équivalentes en qualité à celles du vol à vue.

Du côté des pilotes, on trouve aussi des avis divergents, mais il faut distinguer si les avis dont on fait état proviennent de pilotes, de constructeurs (essayant et mettant au point un matériel expérimental neuf avec l'aide de Techniciens hautement qualifiés) ou des pilotes choisis par une Compagnie pour défendre une politique définie ou enfin de pilotes qui simplement ont l'expérience des matériels les plus récents dans les conditions réelles de l'exploitation en ligne. Ces derniers, en grosse majorité, adopteraient plutôt la philosophie exprimée par la NASA... mais les dispositifs permettant l'atterrissage manuel ne semblent pas encore avoir fait leurs preuves. De même que les systèmes automatiques dont nous disposons actuellement sont loin d'avoir un fonctionnement parfait et régulier. C'est pourquoi, en ligne, le pilote automatique est très peu utilisé pour l'approche, ou lorsqu'il l'est, ce n'est qu'à titre expérimental. Le seul moyen sûr reste l'utilisation des instruments classiques dont les performances ne sont pas améliorées depuis la guerre exception faite pour les altimètres et les radiosondes.

Pourtant, les réussites spectaculaires des essais d'atterrissage automatique poussent à, préférer cette méthode.

Essayons d'analyser les arguments pour ou contre :

RAISONS INVOQUEES EN FAVEUR DE L'ATTERRISSAGE AUTOMATIQUE

Une première raison est la suppression du facteur humain, considéré généralement comme un facteur d'incertitude tandis que l'automatisme est réputé avoir un comportement toujours égal à lui-même, c'est-à-dire capable de répéter indéfiniment à la même vitesse et avec la même précision une même manœuvre.

Si l'on parle d'une action relativement simple, c'est assez vrai, mais c'est encore plus vrai d'un réflexe conditionné chez l’homme, ce que tout médecin peut confirmer.

Mais, lorsqu'il s'agit d'une action aussi complexe que l'ensemble des perceptions analyse de signaux et des actions sur des gouvernes avec contrôle des réactions, la trajectoire d'un avion ce n'est plus si évident. S'il est exact que l'homme peut avoir un comportement qui varie selon son état de fatigue, il faut bien reconnaître que les pilotes automatiques dont nous disposons sur nos quadriréacteurs sont loin d'avoir le comportement parfaitement régulier auquel on devrait logiquement s'attendre.

Une autre raison invoquée en faveur des automatismes est qu'on peut faire réagir un mécanisme à un nombre important de paramètres simultanés dont l'importance relative peut être modifiée à volonté alors qu'un homme seul ne peut pratiquement pas surveiller avec la même constance et précision un nombre important de paramètres. Il faut recourir aux automatismes surtout quand les phénomènes varient rapidement; certains auteurs ont même précisé pour toute périodicité inférieure à une durée déterminée, par exemple 1 seconde. Mais il y a deux sortes d’automatismes utilisables : ceux créés par homme, mécaniques ou électroniques, et ceux de l'homme lui-même, c'est-à-dire ses réflexes humains qui s'éduquent et ont en général d'excellente qualité. Des journalistes ont fait à Gordon Cooper le reproche d'être un "robot" parce qu'il ne répondait que "Roger" aux instructions appliquant en cela la consigne simple de réduire au minimum les transmissions. Mais là encore l'homme a prouvé une fois de plus qu'il peut exécuter avec efficacité et précision des tâches complexes avec un entraînement approprié.

Un autre argument que l'on accepte généralement sans l'approfondir suffisamment est celui du " temps de réponse " de l'homme qui ne serait plus adapté à la vitesse des avions. Mais de quoi s'agit-il ?

Si c'est d'une action sur une gouverne, encore faut-il que le gain de temps ne soit pas négligeable devant le temps de réponse de l'avion lui-même à l'action de cette gouverne. Or ce temps de réponse de l'avion est limité par la résistance des structures, ou plus simplement par le confort des passagers. Il est donc parfaitement illusoire de gagner quelques centièmes de seconde sur un phénomène dont l'ordre de grandeur est supérieur à la seconde, ce qui est le cas de toute manœuvre d'avion à grande vitesse.

S'il s'agit de phénomènes oscillatoires, tels que le roulis hollandais, la vitesse n'est qu'indirectement en cause (pour la détermination des formes). Mais la période du phénomène n'est pas directement liée à la vitesse. Pour le B.707 elle est de 0,2 cycle/seconde, soit une période de 5 secondes, si bien que le "Damper" n'est utile que pour décharger le pilote d'une correction fastidieuse mais tout à fait à sa portée, l'expérience le prouve d'ailleurs.

En ce qui concerne l'approche et l'atterrissage les vitesses sont de l'ordre de grandeur des derniers avions conventionnels et l'on sait qu'il en sera de même pour les futurs transports supersoniques. Seuls les problèmes de stabilité et de manœuvrabilité de ces derniers pourraient poser des problèmes à basse vitesse si des solutions aérodynamiques convenables n'étaient pas trouvées et si un avion raté n'était pilotable que grâce à des truquages électroniques.

La vitesse des avions ne devrait donc pas poser de problèmes d'inadaptation de l'homme. Pour nous, pilotes, les systèmes d'atterrissage automatiques ont surtout été une aide précieuse dans la mesure où ils ont démontré que nos plaintes étaient fondées et qu'il était nécessaire d'améliorer les performances au moyen de guidage. Nous leur devons, en particulier, la mise au point rapide des ILS à faisceau étroit, avec suppression des faux axes, la mise au point des radioaltimètres de précision et bientôt, nous l'espérons, des glide-path plus précis grâce à des systèmes genre FLARESCAN.

INCONVENIENTS DES SYSTEMES ENTIEREMENT AUTOMATIQUES

Après les avantages que je m'excuse d'avoir contestés, voyons les inconvénients. L'un des plus sérieux est que l'avion équipé d'un pilote automatique muni des possibilités " tous temps " devra atterrir sur les aéroports les plus divers où ces possibilités ne pourront que rarement être employées. Ceci tient à un certain nombre de raisons soit politico-financières, soit techniques, soit géographiques. Mais les faits sont là : depuis plusieurs années on utilise les quadri-réacteurs lourds de jour et de nuit sur des aéroports de longueur à peine suffisante dépourvus d'ILS avec pour tout moyen d'atterrissage un radiophare moyenne fréquence de puissance insuffisante et qui souvent n'est même pas situé dans l'axe de la piste. Il n'est guère d'espoir d'améliorer de façon significative et durable une telle situation. Pour y pallier, le seul " self adaptive system " qu'on ait trouvé reste celui qu'on a toujours eu sous la main et composé des yeux, du cerveau et des membres du pilote ! Précisons aussi que les systèmes automatiques d'atterrissage actuellement au point, prévoient une approche en ligne droite sur un ILS alors que le relief environnant certains aéroports importants (ou d'autres raisons) obligent à une procédure d'arrivée en virage.

Or, s’il est parfois très difficile d'obtenir un localiser bien rectiligne et qui le demeure dans le temps, je ne pense pas qu'on ait encore mis au point d'ILS courbe. C'est pourquoi l'atterrissage automatique ne sera probablement jamais d'emploi universel et que des atterrissages manuels continueront à, s'effectuer en opérations normales même avec les transports supersoniques.

Il serait donc souhaitable qu'un système d'atterrissage tous temps soit " compatible " c'est-à-dire :

- soit utilisable avec les types d'infrastructure les plus divers,

- permette l'atterrissage manuel tous temps avec l'utilisation de moyens aussi voisins que possible de ceux utilisés au cours d'une approche à vue.

Cette seconde condition est hautement souhaitable car si les méthodes de travail du pilote sont différentes à vue et aux instruments, son entraînement dans ce dernier cas sera toujours insuffisant puisque les arrivées aux instruments sont toujours moins nombreuses que les arrivées à vue, surtout en fin d'approche.

Quant aux atterrissages automatiques tels que certains semblent les concevoir, ils auraient pour conséquence de faire perdre totalement cet entraînement précieux, et ce d'autant plus que leur fonctionnement serait bon car le pilote, avec les moyens dont il dispose, ne pourrait que constater que les aiguilles sont bien en croix et la vitesse d'approche conforme à celle recherchée.

Cependant, il n'est guère de responsables officiels et moins encore de pilotes ayant pratiqué les récents dispositifs qui croient à l'infaillibilité d'un système automatique quel que soit le degré de redondance adopté. Le propre des calculs de probabilité qui tentent de justifier le taux mirifique promis est qu'ils sont exacts, mais basés à mon avis sur des hypothèses fausses telles qu'une commutation parfaitement sûre, ou une sécurité totale des connections, ou une sécurité par vote majoritaire dans le cas de systèmes simultanément embrayés. Je me propose de répondre aux interventions sur ces points après l'exposé pour ne pas l'allonger inutilement.

L'expérience actuelle des Boeing 707 n'est guère encourageante, car les défauts ou irrégularités de fonctionnement sont beaucoup trop fréquents pour qu'il soit question de lâcher aveuglément les commandes à un tel système. Rappelons pour mémoire que le dispositif comparateur qui constituait une sécurité prétendue indispensable, a d'abord reçu une possibilité de déconnexion depuis le cockpit puis a été purement et simplement supprimé, que le système permettant le maintien du cap moyen au passage à la verticale d'une station VOR n'a pratiquement jamais fonctionné, les réactions trop brutales de trim en approche automatique ou même simplement en virage à une altitude qui devrait être constante mais ne l'est pas, l'amortissement insuffisant du "Damper" etc... Et pour ne pas accuser le seul pilote automatique il faut aussi indiquer nombre d'irrégularités de fonctionnement d'autres dispositifs complexes, tels qu'écarts de cap anormaux et fugitifs, écarts entre indications de VOR ou d'ILS, indications erronées de Doppler etc...

Pour ce dernier appareil faisons une parenthèse pour indiquer qu'on baptise généreusement mémoire ce qui n'est qu'un arrêt pur et simple de l'appareil. Si les aiguilles stoppaient exactement à une valeur où le signal était encore utilisable, tout se passerait effectivement " comme si " l'on avait affaire à une mémoire mais l'expérience prouve que lorsque le signal disparaît les aiguilles s'arrêtent le plus souvent à une valeur fausse. De sorte que l'appellation "mémoire" frise l'escroquerie.

Je pense qu'il était nécessaire de dire ceci pour expliquer combien les pilotes sont méfiants quand on leur annonce les performances merveilleuses de nouveaux appareils. Et ils ne veulent pas lâcher la proie pour l'ombre. Sans doute font-ils pleine confiance aux ingénieurs pour améliorer les performances et le niveau de sécurité de leurs productions, mais ils ne veulent pas se laisser emporter par l'enthousiasme et restent réalistes. La complexité a apporté beaucoup de déboires et la simplicité ne signifie pas pour autant facilité. En outre, en dehors du prix d’achat élevé d'un système complexe, les problèmes d'entretien deviennent plus délicats et coûteux à, résoudre, et ceci d’autant plus que les avions s'éloignent de leurs bases.

Mais, puisque de toute façon il n'est pas encore envisagé de supprimer l'équipage, pourquoi ne pas profiter au mieux de ses possibilités, en lui fournissant des instruments améliorés plutôt qu'un système automatique qu'il ne puisse plus réellement contrôler.

RESPONSABILITES

Car se pose la question essentielle pour les pilotes et sur laquelle ils resteront intransigeants, c'est la question de responsabilité.

Quand un pilote prend le commandement d'un avion il est non seulement légalement, mais normalement, ce qui compte avant tout, responsable de la vie des passagers et de l'équipage qui lui sont confiés.

C'est dire qu'il ne peut accepter de se mettre volontairement dans une situation il ne puisse plus contrôler ce qui se passe avec suffisamment de précision et où il ne puisse plus intervenir s'il lui semble que la situation se détériore.

Or, c'est exactement ce que proposent certains constructeurs qui reconnaissent très honnêtement qu'avec les moyens dont dispose le pilote sa possibilité d'intervention est nulle et n'est même plus souhaitable car elle serait dangereuse au-dessous d'une certaine altitude qui est de l'ordre des minima actuels.

Alors, si un accident survient dans ces conditions, malgré toutes les précautions prises, qui serait le responsable ?

Le constructeur ?

L'administration qui a autorisé ces vols?

La compagnie ?

Ou le pilote qui aura accepté de se mettre dans cette situation ?

Pour nous, pilotes, c'est net : nous disons non, dans ces conditions nous ne pouvons plus être responsables. Il nous faut jusqu'au bout un (ou des) moyens de contrôle et des moyens d'action.

C'est pourquoi il est indispensable, pour que les pilotes acceptent un système d'atterrissage quel qu'il soit, que ce contrôle et ces possibilités d'action existent. La possibilité d'action peut exister très facilement. C'est un moyen de débrayage sûr et instantané du système automatique ou la possibilité de s'en passer en pilotant manuellement comme on le fait à vue. La possibilité de contrôle n'existe pas encore et c'est pourquoi il est nécessaire d'améliorer les instruments de bord.

INSUFFISANCE DES INSTRUMENTS DE BORD CONVENTIONNELS

Les instruments de bord, dans la forme où nous les connaissons actuellement, sont difficilement perfectibles. En effet l'encombrement des planches de bord rend quasi-impossible l'accroissement de leurs dimensions, donc de la précision de leur lecture. Si l'on considère un paramètre des plus importants dans une approche sans visibilité et qui est la tenue de cap, nous avons pour contrôler ce cap une " rose " généralement graduée de 5 en 5° pour laquelle la longueur de l'arc correspondant est de l'ordre de 4 mm, soit un arc d'une longueur qui est de l'ordre 0,8 mm par degré. L’œil du pilote étant une distance qui est de l'ordre de 0,80 m soit 800 mm, l'angle sous lequel sont vues les extrémités de cet arc est de

0,8/800 = 1/1000 de radian soit 0',057 ou 1/17 degré.

Autrement dit la précision de lecture de l'instrument est 17 fois moins bonne que celle qu'on aurait avec un repère à l'horizon. C'est assez dire qu'avec une si faible précision il n'est pas question de déceler le début du mouvement ou sa dérivée, comme il serait souhaitable de pouvoir le faire, et ceci d'autant plus que l'instrument n'est plus, en général, qu'un répétiteur ce qui entraîne une autre perte de précision et surtout d'instantanéité à cause de la nécessité d'amortir le servomécanisme. On peut faire le même raisonnement pour l'horizon artificiel dont les débattements en profondeur sont passés de 0,65 mm à 0,85 mm au degré. Sur de nouveaux modèles on arrive à 1,4 mm au degré dans la partie centrale mais le petit calcul précédent montre qu'en ce cas on n'a encore que le 1/10 de l'écart angulaire réel, et avec toujours les inconvénients de la répétition au point de vue instantanéité et précision. On butte par conséquent sur ce " mur de la précision " avec les instruments classiques.

La sécurité de fonctionnement est devenue assez bonne malgré une complication croissante, mais cette sécurité n'est encore acceptable que grâce à des instruments doublés ou même triplés en ce qui concerne les instruments essentiels. Cependant il n'est pas toujours possible de déceler immédiatement un défaut d'instrument, soit que le système d'alarme n'attire pas l’œil immédiatement, soit que les cas de blocage mécanique ne soient pas couverts (accident du Comet d'Ankara). Or il y a de nombreux cas de vol où il est impératif qu'une panne d'instrument essentiel (comme l'horizon artificiel par exemple) soit décelée immédiatement avant de provoquer ou d'empêcher une action du pilote (humain ou automatique). Ce problème n'est pas résolu d'une façon vraiment satisfaisante. Encore ne s'est il agi ci-dessus que des instruments essentiels de contrôle de vol, pour ce que les pilotes appellent en France la " tenue de machine " et qui conditionnent en grande partie le cap, la vitesse aérodynamique et la vitesse de montée ou de descente. Il serait également utile d'avoir des instruments qui donnent instantanément l'écart avec la trajectoire et la vitesse de cet écart. Ce n'est toujours pas le cas avec les indications ILS qu'il s'agisse des vieux ID 48 ou des modernes CDI dont le principal inconvénient reste la variation trop grande de sensibilité au cours de l'approche.

Un autre reproche qui peut être fait aux instruments classiques est qu'ils ne sont pas instinctifs et demandent une certaine éducation puis un certain entraînement pour être utilisés. Si de nouveaux instruments sont créés, il est souhaitable de tenir compte davantage de leur adaptation aux sens humains, ce fameux " human engineering " grâce auquel l'homme agirait par réflexe et sans fatigue pour une part importante du pilotage. Ceci sera atteint, à mon avis, en lui donnant les informations les plus proches par leur nature de celles du vol à vue.

Enfin, un dernier reproche et non le moindre en ce qui concerne l'atterrissage par mauvaise visibilité, c'est le problème de la transition. L’œil est accommodé sur une planche de bord vue à une distance de l'ordre de 0,80 m (au moins) et il agit sur des informations correspondant à des déplacements angulaires très faibles. Au moment où la piste lui apparaît, il doit très rapidement accommoder sa vision pratiquement à l'infini et réagir à des déplacements angulaires beaucoup plus importants. D'où l'importance qu'il y aurait à piloter " tête haute " avec l’œil accommodé à l'infini, en utilisant les mêmes vitesses de réaction pour les mêmes déplacements à vue et aux instruments.

TENDANCES CONSTATEES POUR LES INSTRUMENTS FUTURS

Un certain nombre de tendances futures que je crois dangereuses semblent se faire jour en ce qui concerne les instruments de bord et je voudrais saisir l'occasion qui m'est offerte de donner l'opinion d'un pilote à ce sujet.

Il semble que l'on s'oriente vers un rôle de contrôle du pilote automatique, sans rechercher une possibilité meilleure d'action par le pilote humain. C'est-à-dire que le pilote humain peut constater, avec un certain retard, que le pilote automatique fonctionne correctement mais, en cas de défaut que par ailleurs le système d'alarme n'aurait pas décelé, il ne serait pas possible d'intervenir avec efficacité au début de l'incident.

J'ai également souvent lu ou entendu dire que les instruments pilote devraient être alimentés par les mêmes sources que le pilote automatique.

Or je pense que le moyen de contrôle doit être entièrement distinct faute de quoi aucun contrôle n'est plus possible. Sans doute le pilotage serait meilleur avec un Directeur de Vol alimenté par un calculateur perfectionné tel que celui que l'on destine au pilote automatique... et à condition que les performances réelles correspondent bien à celles escomptées. Mais toute panne ou défaut de ce calculateur se répercutera à la fois sur le pilote humain et sur le pilote automatique. Il est indispensable que les données de base (attitude, cap, écarts radio, vitesses, altitude) restent à la disposition du pilote car aucun jugement ne serait plus possible.

C'est pourquoi aussi les pilotes, s'ils sont favorables à un Directeur de Vol en tant qu'aide ou "conseil" ne peuvent accepter qu’un tel appareil supprime et remplace ceux qui leur donnent les éléments de base. Maintenir des index à zéro n'est plus qu'un acte stupide enlevant au pilote toute possibilité de juger.

Il reste à voir l'importance des systèmes d'alarme dont commencent à être équipés nos avions. Il est certain qu'il est nécessaire d'être informé le plus tôt possible d'une défaillance quelconque et l'on ne peut qu'applaudir à la mise en service de systèmes audiovisuels qui attirent immédiatement l'attention. Encore faut-il que les lampes avertisseuses soient bien visibles du pilote aux commandes et que le système ne fonctionne pas tout le temps inutilement ou pour des causes bénignes. D'autre part il est des cas de panne qui ne sont pas couverts. De toute façon, ces nouveaux systèmes d'alarme sont à encourager et à perfectionner.

AMELIORATIONS PROPOSEES.

Avant de passer aux améliorations que je pense souhaitable d'apporter, et les critiques faites plus haut montrent sur quels points elles devraient porter, à mon avis, j'aimerais dire quelques mots de l'expérience passée.

Il ne faut pas oublier cette expérience car avant la guerre, déjà des pilotes se sont posés en France et sans doute ailleurs par des visibilités pratiquement nulles, et avec des moyens rudimentaires.

Sans doute l'absence de piste faciliterait beaucoup les choses, car une petite erreur de cap n'avait aucune conséquence désastreuse. On cite plus volontiers la vitesse relativement réduite des avions de l'époque, mais c'est oublier que les pistes étaient nettement plus courtes. La méthode utilisée, que notre camarade Lafannechère avait mise au point, consistait grosso-modo à faire une " variation de QDM " autour de la station gonio à une altitude déterminée et à déclencher le chronomètre au passage du travers de cette station en calculant le temps d'éloignement, compte tenu du vent, de telle sorte que le temps de retour sur l'axe d'arrivée soit connu et permette de régler sa descente de façon à passer au cap et à l'altitude choisis un peu avant l'entrée de la bande d'atterrissage.

Cette méthode rudimentaire, car elle utilisait des instruments rudimentaires eux aussi, a pourtant permis nombre d'atterrissages sans visibilité et des pilotes entraînés l'ont même réalisée sur des pistes. Personnellement comme beaucoup de mes camarades, j'ai fait des atterrissages complets sous capote de cette façon (en 1946). C'est dire que lorsque nous avons eu les premiers ILS au lieu des informations intermittentes d'un goniomètre, nous avons trouvé le progrès énorme. Mais depuis ces 17 ans (et plus si l'on se reporte avant la guerre) il faut bien dire que l'on a terriblement rétrogradé puisqu'on en est à 300' et 3/4 de mille. Sans doute les avions vont-ils plus vite mais les pistes vont de 2.200 m à plus de 3 kilomètres pour 45 à 60 m de large ! Sans doute sont-ils plus lourds, mais ils restent maniables. Sans doute aussi à l'entraînement est-on capable de beaucoup mieux que ces 300' et 3/4 de mille puisque l'on fait des paliers à 50' au-dessus de la piste, sous capote. Mais pour un pilote qui vient de passer une nuit en l'air, on ne peut garantir un tel résultat de façon sûre.

Enfin l'expérience française de la Postale de nuit est là avec le fait brutal et permanent de sa régularité à plus de 99 %. Voilà qui devrait donner à réfléchir, car si le zéro-zéro absolu n'est pas autorisé, on n'en est tout de même pas loin. Or, ceci n'est atteint qu'avec une évolution des moyens rudimentaires du début, avec des instruments à peine améliorés, mais avec des équipages bien entraînés et aux méthodes de travail bien au point. Je ne vais pas m'étendre sur cette expérience déjà longue, d'autant plus qu'un de mes camarades de la Postale serait plus qualifié que moi pour en parler, mais il est nécessaire que le rôle de l'homme et ses possibilités soient indiquées de façon indiscutable.

Il est absolument certain que si les progrès des instruments de bord et en particulier leur précision et leur instantanéité avaient suivi la courbe générale des progrès dans les autres domaines, les cas de déroutement pour visibilité insuffisante seraient depuis longtemps ramenés à zéro.

ATTERRISSAGE A VUE.

Le fait même de fixer des conditions minima de visibilité dit assez bien que lorsque le pilote y voit, le problème est résolu.

Or, que voit-il ? ou du moins que voit-il d'essentiel et qu'il serait indispensable de lui donner sous une forme schématique, pour qu'il puisse, avec ces informations, atterrir avec la même facilité qu'à vue ? C'est là qu'est le problème et c'est celui-là qu'il faut résoudre.

Contrairement à ce que pourraient croire les profanes et même lorsque l'horizon existe, il n'existe pas de bonne définition visuelle de la position de l'avion par rapport à cet horizon, parce que le pare-brise s'étend sur un champ oculaire assez grand (heureusement) mais sans aucun repère. Deux traits parallèles l'un à l'axe de lacet, l'autre à l'axe de tangage tracés sur le pare-brise n'apporteraient qu'une aide illusoire car un déplacement (même faible) de la position de la tête du pilote induirait des erreurs de parallaxe. Il faudrait alors définir l'axe de l'avion par de tels traits mais vus à l'infini comme un réticule de viseur de mitrailleuse. L'horizon naturel étant rarement observable et utilisable ceci n'a pas été réalisé. Cependant même avec la définition insuffisante actuelle, tout repère quel qu'il soit vu à travers le pare-brise, bouge immédiatement aussitôt que l'avion amorce une embardée. L'information précise et instantanée du déplacement et de la vitesse de déplacement est l'élément essentiel qui facilite le pilotage, et ceci est instinctif. De même lorsqu'on atterrit sur une piste dont seul le balisage ressort de la nuit noire, l'image de cette piste apporte d'abord l'information ci-dessus. Lorsqu'on est loin, c'est presque un point et cela ne dispense pas de l'utilisation des instruments. Mais quand on s'en rapproche, la forme de l'image de la piste est une sorte de trapèze dont les déformations renseignent en un clin d’œil sur l'écart par rapport à l'axe de la piste et donne une notion de pente utilisable. Cependant, comme les trajectoires d'approche sont relativement plates, si la piste n'est pas sur un terrain horizontal, ou si le rapport de la largeur à la longueur du balisage de la piste varie, cela peut conduire à des erreurs d'appréciation importantes. Une correction instinctive se fait aussi selon que l'image de la piste est vue haut ou bas dans le pare-brise, mais ceci varie avec la configuration de l'avion et sa vitesse d'approche réelle. On peut résumer ceci en disant que bien que l'information visuelle soit imparfaite avec les pare-brise actuels sans repères et sans indication matérialisant la pente, (tels que système VASI ou autres), des quadriréacteurs se posent couramment de nuit avec la seule vue du balisage de piste, et sans que les pilotes aient l'impression de réaliser un exploit.

ATTERRISSAGE SANS VISIBILITE

Alors que manque-t-il au pilote pour que ceci soit réalisable sans visibilité ?

D'abord un moyen de percevoir instinctivement et immédiatement toute amorce d'embardée avec sa vitesse de déplacement.

Nous avons vu que les instruments classiques qui sont 17 fois moins précis (10 fois dans le meilleur cas) que le déplacement réel d'un repère dans le pare-brise et dont les retards dus aux transmissions par des servomécanismes sont prohibitifs ne peuvent pas apporter de solution vraiment satisfaisante.

Ensuite un moyen de guidage qui donnerait au pilote une vue schématisée de la piste en forme et en grandeur, l'idéal à atteindre étant un système de détection et de localisation du balisage de la piste elle-même ce qui rendrait le système utilisable sur tous les terrains du monde et quel que soit le type d'approche. Cependant tout autre moyen permettant de donner au pilote une information immédiate et précise de sa position par rapport à l'axe et à la pente idéale est valable pourvu qu'il ne devienne pas hypersensible à l'approche ou sur la piste elle-même (ce qui est une faiblesse des ILS classiques).

Les deux moyens ci-dessus de pilotage et de guidage devraient si possible être lus tête haute et avec l’œil accommodé à l'infini.

Voilà l'idéal à atteindre.

Par quels moyens y parvenir et quelles sont les réalisations qui s'en rapprochent ?

Depuis plusieurs années j'avais proposé d'utiliser le principe connu du collimateur des viseurs de mitrailleuse pour résoudre déjà une partie du problème : en donnant par ce moyen l'image d'un horizon, en peut obtenir à la fois la précision souhaitée (par adaptation de la focale de la lentille avec le déplacement circonférenciel du tambour d'un horizon) et la solution des problèmes de transition et de risque de collision.

En ce qui concerne le balisage j'exprimais à ce moment le désir de pousser les recherches entreprises en France sur l'utilisation des infrarouges qui, s'ils ne donnaient peut-être pas une grande portée, permettaient de construire un système complémentaire de l'ILS dans la partie ou celui-ci devenu hypersensible devient difficile à utiliser.

Ces propositions n'ont pas été suivies en France et ce n'est évidemment pas un pilote de ligne dont le temps est absorbé par ses vols qui peut construire de tels appareils même s'il avait la compétence nécessaire, ou suivre assidûment les travaux d'un constructeur.

Cependant à l'étranger des réalisations ont vu le jour qui partent d'une philosophie très voisine de celle chère aux Pilotes.

Puisque d'éminents représentants des constructeurs de ces appareils sont présents à ce congrès je pense qu'ils les ont présentés et je n'aurai pas l'outrecuidance de les décrire à mon tour. Je voudrais seulement dire que mes camarades et moi-même sommes passionnément intéressés par des systèmes tels que celui présenté par Sperry (path marker), Rank Cintel (Pilots Electronic Eyelevel Presentation), Bendix (microvision), Specto Avionics (Pilot's head-up Display System). Ceux-ci sont à mon sens sur la bonne voie et j'espère que ces systèmes seront bientôt au point et disponibles sur le marché.Mais, car il y a un mais, tous ne sont pas sans reproche. A part le système microvision de Bendix qui ne prétend résoudre qu'un aspect du problème, c'est-à-dire le guidage (mais avec éventuellement la possibilité d'avoir la dérivée des embardées de l'avion) le reproche qui peut être adressé aux autres systèmes est de vouloir faire trop et ainsi de devenir compliqués et difficiles à mettre au point. Ces systèmes ont l'avantage de s'affranchir des servomécanismes dont l'inertie me semble incompatible avec la vitesse d'information nécessaire. En contrepartie on ne sait pas encore quelle sera la tenue et la longévité des nouveaux tubes cathodiques à haute luminosité utilisés dans ces appareils.Pour ma part il me semble que nous nous serions contentés d'obtenir de cette façon une information de très bonne qualité de l'horizon et du cap. Cela seul rendrait d'inestimables services pour le pilotage manuel et améliorerait de façon considérable la qualité des approches telles que nous les pratiquons. En effet une bonne part des difficultés rencontrées provient de petits écarts de cap, d'inclinaison ou de pente dus à des rafales ou des mouvements involontaires et qui ne sont pas corrigés assez tôt pendant que l’œil est accaparé par la lecture d'un autre instrument. L'adjonction d'un système tête haute également permettant la lecture d'une information de guidage, même si celle-ci n'est pas supérieure en qualité à ce que nous avons actuellement, est souhaitable pour simplifier le circuit des yeux, cette adjonction peut être réalisée par un moyen optique simple.

 

CONCLUSION

Les instruments de bord, dans leur forme classique actuelle sont condamnés car ils ne permettent pas l'accroissement substantiel de précision et de rapidité d'information qui sont nécessaires au pilote pour agir près du sol avec une sécurité voisine de celle du vol à vue.

Même si les systèmes automatiques sont adoptés, les pilotes entendent assurer un contrôle effectif du vol avec possibilité d'intervention à tout moment.

Pour cela le système de contrôle doit rester entièrement distinct du pilote automatique et avoir la précision et la vitesse d'information nécessaires.

Si ces améliorations étaient apportées aux instruments essentiels que sont l'horizon et le cap avec possibilité de lecture tête haute, il semble que les deux premières phases de l'atterrissage tous temps seraient réalisables presque immédiatement, sans modification importante des installations existantes et à moindre frais qu'avec les systèmes entièrement automatiques.

Il est assez remarquable de constater que les informations même fragmentaires, mais précises et instantanées de l'image d'un balisage de piste permettent au pilote d'atterrir sans le secours de la moindre calculatrice analogique ou digitale autre que son cerveau qui réalise instantanément l'opération, car cela correspond à des réflexes conditionnés par l'habitude du pilotage.

L'utilisation de ces possibilités de l'homme me semble la voie la plus sûre et la plus rentable d'aboutir à la solution du problème posé.