Gilbert Klopfstein
à
M. Xavier Barral
SNPL Espace Jean Mermoz
Tour Essor 93
14-16, rue Scandicci
93500 PANTIN
Biot, le 26 janvier 1987
Cher Monsieur,
J'ai reçu avec plaisir vos vœux accompagnés d'une espérance sur le triomphe de la raison. Je vous en remercie. Bien que je me soit "retiré" des affaires, il me semble que je puisse encore aider à ce triomphe, pourtant, le fait d'avoir dépensé pendant treize ans une grande partie de ma solde en achats de matériels pour faire des recherches sur le Nord 262 de Sup'Aéro (ce qui m'a obligé à retrouver du travail), ne m'incite pas à continuer.
Je vous demande de lire attentivement le document joint. Il émane de la société des Pilotes d'Essais Expérimentaux des USA. C'est un milieu très fermé, mais où règne indiscutablement la… compétence ! je vais y revenir.
Tous les ans, cette société fait un symposium (en grec cela signifie orgie !) où ils peuvent se permettre de faire des recommandations à l'industrie. ce document est extrait d'un compte-rendu du symposium de 1980. Il relate les essais… visant à définir le MEILLEUR collimateur dans le fatras de toutes les présentations existantes. Ces essais se sont déroulés à la CALSPAN, qui est un organisme de recherche dépendant du l'université de Cornell à Buffalo, et travaillant pour l'USAF, l'USN et la FAA. Pour information, la CALSPAN a été à l'origine de tous les avions à stabilité variable US et en particulier du célèbre TIFS (Total Air Flight Simulator). La CALSPAN a été chagée par l'USAF et l'USN de chercher la meilleure présentation tête haute. Après avoir éliminé ce qui ne valait rien, ils ont conservé quelque chose qui n'est en fait que… PERSEPOLIS et la présentation Klopfstein. Puis ils ont comparé les deux choses. Mais pour la première fois, la charge de travail était MESUREE et non laissée au jugement arbitraire de pilotaillons incompétents. Et le résultat est flagrant : il y a une différence IMPORTANTE entre PERSEPOLIS et la figuration Klopfstein et cela est CONTRAIRE A CE QUE RACONTE M. VISIERE dans un numéro récent d'Icare. Alors, Monsieur le vice-président du SNPL, pour que la raison triomphe, il faudrait qu'elle commence par le faire au sein du SNPL !
L'origine de PERSEPOLIS est la suivante : il n'était pas question que les brillants pilotes d'essais de Dassault pilotent avec les découvertes d'un petit ingénieur besogneux de l'administration, et il fallait surtout que tout émane de Dassault, Dassault a sauvé le collimateur. Mais ils ont très bien joué : ils ont dessiné un collimateur pour pilotes idiots, pour branlotins de manche à balai. Et ils ont ainsi gagné toutes les évaluations effectuées en France… car ma figuration suppose que le pilote soit intelligent (voir la définition de l'intelligence, non élistique, dans le C.R. du symposium formation de votre syndicat). Pour un pilote qui n'est qu'un robot, PERSEPOLIS est supérieure, car il suffit pour l'utiliser de mettre un symbole dans une "boite" : ce n'est qu'un directeur de vol tête haute. Je vous rappelle que la plupart des Pilotes d'Essais Expérimentaux américains sont Master of Arts (docteur ès sciences) d'une université et qu'en plus la charge de travail était mesurée, et non laissée à l'appréciation parfaitement subjective de pilotes qui, en plus, n'avaient pas reçu la formation nécessaire à l'emploi d'une figuration qui fait appel aux connaissances et à l'intelligence des pilotes.
Je me souviens parfaitement de l'évaluation par les pilotes du SNPL, à Villacoublay sur le simu Mercure, des deux visualisation "en compétition". Les pilotes; dont monsieur Visière, arrivaient, subissaient un petit briefinf et passaient dans la cabine. Il était indiscutable que dans ces conditions ils se débrouillaient mieux avec un DV !
Lorsque monsieur Visière (qui pourtant me loue, dans Icare… ) prétend que les figurations sont analogues, il se trompe. Et en défendant PERSEPOLIS, il a, mais je le reconnais, de très bonne foi, fait un mal énorme à la cause qu'il défend, donc à la raison.
Est-ce à dire que ma figuration n'est utilisable que par une élite ? certainement pas. Elle est utilisable par des pilotes, mais pas par des singes savants.
Il faut absolument que la profession réalise le plus vite possible que sous prétexte de "rigueur", de "professionnalisme", de "sécurité", de "répartition de charges", on a lentement (et j'en ai bien peur de façon IRREVERSIBLE) dégradé le travail en le rendant FASTIDIEUX. Et cela va à l'encontre de la sécurité. On ne laisse aux conducteurs de trains que très peu d'initiatives, ils doivent se battre littéralement avec des dispositifs abrutissants, en fait on a voulu les déqualifier, peut-être pour moins les payer, et vous venez de voir ce que cela donne…
Des pilotes ne devraient jamais avoir à égrener des "litanies", tout travail fastidieux devrait être automatisé, et au contraire le travail faisant appel à l'imagination, à l'initiative, en un mot à l'intelligence, devrait être laissé à leur portée. On tend à faire le contraire.
Je vais être méchant : les Pilotes d'Essais Expérimentaux américains, hautement qualifiés, ont jugé la figuration Klopfstein (c'est leur dénomination, veuillez m'en excuser…) supérieure à PERSEPOLIS, les pilotes de ligne français ont jugé le contraire. Qu'en conclure ?
On pourrait en conclure, en étant pessimistes, qu'il y a des "pilotes" et des "branleurs de manche". Mais ma conclusion sera optimiste.
Des pilotes de ligne français ont osé écrire qu'il ne fallait pas utiliser des pistes passant sur des ponts routiers lorsqu'il y avait une dissymétrie latente. Alors l'espoir reste permis. La pâte dont est faite la profession est très bonne, mais elle est très mal travaillée. Le travail en profondeur, effectué par deux adhérents du SNPL, MM. Debiesse et Marzuoli permettra peut-être un jour de redresser la situation. Ils est inadmissible que les futurs pilotes de ligne soient recrutés parmi les "taupins", et soient ensuite placés entre les mains de techniciens de bas étage, complètement dépassés, à l'ENAC, et entre les mains de brillants pilotes d'aéroclub, certes très adroits, mais incapables de leur enseigner ce qu'il est nécessaire de connaître pour prendre la direction d'un "liner" moderne. Il est d'ailleurs remarquable que MM. Debiesse et Marzuolisoient dans ce cas, mais ils présentent la particularité, très peu répandue, d'avoir conscience de leurs lacunes et d'essayer de les combler.
Le compte-rendu joint à cette lettre prouve qu'il y a des "pilotes" et des "branleurs de manche". Mais le triomphe de la raison viendra, je l'espère, de la profession elle-même. Le petit "corporatisme" du milieu, excusez-moi pour cette vérité indiscutable, fera que les pilotes finiront par comprendre que pour ne pas être remplacé par des puces savantes, il faudra bien qu'il ne se comportent plus en singes savants.
Le cockpit électronique de l'Airbus est une hérésie. Puisqu'il y a du "numérique" et du "cathodique", pourquoi ne pas mettre un calculateur de décision comme celui qui était décrit dans Icare n° 97 par un ancien de la Cometec ? cela pourra éviter un accident du type POTOMAC. Pourquoi mettre du "digital" dans les commandes de vol, si ce n'est que pour faire "comme avant" ? il est possible de faire beaucoup mieux, et ce beaucoup mieux a déjà volé, a déjà été évalué par le CEV et par des organismes américains et a donné lieu à des C.R. très favorables.
On ne devrait plus jamais voir dans Icare des articles, issus de la Cometec, d'un niveau aussi bas. Les allusions au "T basique" montrent que les pilotes agissant dans cette voie devraient se recycler un peu et ne pas se contenter d'assister à des réunions pour parfaire leur aéronautique. Cela leur éviterait de confondre les figurations et leur donnerait finalement beaucoup plus de poids dans les discussions, car j'ai malheureusement l'impression que l'on profite de leurs faiblesse dans ces domaines techniques pour retarder le triomphe de la raison.
Encore une fois merci, monsieur le vice-président, pour vos vœux, et croyez que je suis toujours à votre disposition pour vous aider dans votre action.
Gilbert Klopfstein.