NOTRE AVENIR

par R. LAMI
Secrétaire Général du S
NOAM

Deux articles que les précédents bulletins de l'APNA ont bien voulu accueillir, ont tenté de montrer les signes d'une évolution et vers quelle sorte de " Progrès " elle tend. Pour nous navigants, il nous faut prendre conscience qu'elle mène purement et simplement vers notre disparition du bord des avions commerciaux. Nous ne devons pas nous bercer d'illusions et mésestimer les possibilités de plus en plus considérables de la technique et nous contenter de déclarations rassurantes du genre de " ça ne peut pas se faire, ce n'est pas demain la veille ".
Pendant ce temps d'autres travaillent. Et leur travail n'est malheureusement pas toujours guidé par le souci de la rentabilité des entreprises de transport aérien, de leur sécurité et de leur régularité. Certains aiment la technique pour elle-même, recherchant toujours l'appareil plus moderne, plus astucieux, plus compliqué, d'autres veulent commander eux-mêmes les avions depuis le sol en s'occupant de tout ce qui concerne le vol, en centralisant les renseignements et cherchant à abaisser le niveau technique des navigants, d'autres enfin veulent notre disparition par jalousie pure et simple parce qu'ils n'ont pas pu, pas su, ou pas osé faire ou continuer de faire notre métier.

Contre les erreurs des uns et des autres nous devons réagir car l'avenir sera la somme des efforts des uns et des autres et nous ne pouvons rester neutres en la matière. Il nous faut prendre conscience dès maintenant des exigences de l'exploitation d'une part et d'autre part des possibilités présentes et futures de la technique, puis forts de notre expèrience pratique du vol, chercher à faire prévaloir un point de vue logique qui déterminera la place qui revient à l'équipage.
Les exigences de l'exploitation sont assez faciles à définir nous semble-t-il. Il s'agit d'atterrir quelles que soient les conditions météo (brouillard épais ou fortes pluies orageuses) de naviguer avec plus de précision, de disposer à bord du maximum de place et de poids, de réduire les pannes mécaniques ou électriques de façon à les rendre assez insignifiantes pour que des demi-tours ou retards ne soient plus nécessaires. Enfin, que tout ceci soit obtenu avec le minimum de frais.

En regard de ces exigences, quelles sont les possibilités techniques présentes et que peut-on espérer dans l'avenir ? L'atterrissage par " zéro-zéro " ne peut pas encore être réalisé à coup sûr, même par un pilote très doué et bien entraîné et dans de bonnes conditions physiques (ce qui exclut l'arrivée après un vol long) avec l'infrastructure et les appareils de bord actuellement en service. Ceux-ci l'auraient permis sur des avions plus lents ayant la possibilité d'atterrir sur l'herbe, c'est-à-dire avec une tolérance plus large en direction.
Mais avec les avions actuels, forcés d'atterrir sur une piste assez étroite, à une vitesse assez précise pour ne pas " effacer " la piste pourtant longue et dont l'inertie nécessite un " arrondi " correct à l'atterrissage, on ne peut le permettre. Les constructeurs de pilote automatique n'envisagent pour l'instant qu'une " approche automatique " laissant au pilote humain la manœuvre finale, les minima de ce Super-Georges étant du même ordre que ceux d'un bon pilote en PSV. Les progrès techniques du pilote automatique vont peut-être permettre d'abaisser ces minima et on peut envisager qu'un jour viendra où le robot fera mieux que l'homme.

Mais il est possible que des techniciens étudient des appareils de conception tout à fait différente qui apporteraient au pilote humain une aide telle que son approche aux instruments soit du même degré de facilité que l'approche à vue. Le zéro-reader est un progrès en ce sens mais on peut concevoir un système donnant au pilote une vue figurée de la piste, ou réelle même avec un système genre Fido. Ce dernier système était tellement coûteux que son emploi en temps de guerre se justifiait mais ne peut-être envisagé en exploitation commerciale.
Il est permis d'espérer que l'on trouvera un moyen plus économique d'aboutir à des résultats identiques, voire meilleurs. Cela éviterait le montage d'une nouvelle infrastructure radio plus précise et des appareillages coûteux d'approche automatique montés à demeure sur l'avion et dont le transport ne se justifie qu'occasionnellement ; l'avion n'aurait plus à emporter qu'un appareillage simple, auquel les pilotes sont habitués. C'est un peu le cas du radar d'atterrissage qui a l'avantage d'être au sol, l'avion n'ayant besoin que du récepteur VHF normal.
Malheureusement les pilotes répugnent instinctivement à se lier sans contrôle aux instructions reçues du sol et de toute façon la précision de lecture de l'appareil et les retards inévitables entre la lecture et son interprétation, la transmission de l'ordre et sa compréhension et son exécution rendent impossible le zéro-zéro absolu. En somme nous pensons que la solution du problème de l'atterrissage certain et sûr quel due soit le temps n'est pas trouvée mais que nos références iraient au système se rapprochant le plus de l'approche à vue.

Dans l'ordre de nos préférences seraient :

- un système genre Fido perfectionné et plus économique ;
- un radar de nez donnant une représentation directe de la piste ;
- une amélioration du zéro-reader avec contrôle de l'approche par radar combinée ou non avec un élargissement des pistes aux extrémités.

L'approche automatique n'a pas notre faveur non seulement parce qu'elle ne nous semble pas près d'être au point, mais aussi pour des raisons déjà exposées dans les articles précédents et en particulier à cause du manque d'entraînement qui va inévitablement en résulter pour le pilote humain et rendrait son intervention inefficace, voire dangereuse en cas de panne du robot.

Les systèmes proposés paraissent cependant de peu d'efficacité en cas de forte pluie orageuse qui risque d'amener des anomalies dans les signaux, mais une telle pluie a généralement une durée limitée et l'atterrissage devient généralement possible dès que l'intensité de l'averse diminue. Les problèmes de navigation ne sont pas ceux qui se posent avec le plus d'acuité, sauf dans les cas de défaillance ou d'insuffisance de moyens radio et encore il semble que des retards dût à des erreurs de navigation soient rares. Mais la précision de navigation est souvent importante lorsque le vol a lieu dans une région montagneuse élevée et insuffisamment balisée. Sans doute, dira-t-on, les avions volent de plus en plus haut. Mais il est des pannes de pressurisation ou des cas de givrage, etc..., qui obligent les avions à descendre à une altitude plus favorable. Dans ces cas la précision de navigation reprend d'autant plus d'importance que l'on sait que les vents sont irréguliers au voisinage des massifs montagneux.

On peut espérer dans l'avenir un fonctionnement encore plus sûr de la pressurisation des avions, car on sait l'importance de plus en plus grande que prend ce problème dans le cas des avions à turbine dont la consommation kilométrique devient prohibitive à basse altitude. On pourra donc un jour prochain être tranquille de ce côté. Les risques de givrage de turbine ne semblent pas présenter de difficultés insurmontables, néanmoins pendant encore assez longtemps ces difficultés demeurent. Et surtout pour des petits parcours ou pour des arrivées on départs au voisinage de régions montagneuses (comme Nairobi par exemple), il faut bien admettre qu'une partie du vol se déroulera plus bas que les sommets et que la précision de la navigation retrouve toute son importance.

Les moyens dont on dispose actuellement en dehors de régions à grande densité de trafic (Amérique du Nord ou Europe) sont pour la plupart du temps réduits à des beacons de puissances souvent trop faibles et de fréquences plus ou moins bien choisies (brouillages). Les radiocompas automatiques présentent des défaillances bien connues et seul le cadre à main servi par un spécialiste donne actuellement satisfaction au point de vue précision et sécurité. Mais que nous réserve l'avenir ? La France vient d'installer le système Decca sur les défauts desquels nous ne nous étendrons pas ici, mais qui présente le principal inconvénient d'avoir été installé sans l'accord des utilisateurs, les avions n'étant pas équipés des récepteurs. Le système VOR associé au DME qui nous semble préférable et pour lequel beaucoup de nos avions disposent des récepteurs sera peut être implanté en Europe mais Dieu sait quand.

Par ailleurs on ne peut valablement prédire quand ces systèmes ou d'autres équivalents seront installés sur la plupart des lignes sillonnées par les avions commerciaux (mers, pays désertiques ou régions de guérillas). Restent les systèmes à très longue portée Loran-Consol, etc ... ). Ceux-ci n'ont pas en général la précision nécessaire à grande distance pour un vol à basse altitude en pays montagneux, mais sont très suffisants pour amener l'avion jusqu'à une zone où ils sont plus précis ou bien une zone où un autre système de moindre portée est utilisable. En outre, ils nécessitent soit un navigateur, soit un membre d'équipage qui en tient lieu (pilote ou parfois radio).

Contrairement à certaines affirmations d'exploitants nous ne croyons guère, même dans un délai assez long, qu'un asservissement du pilote automatique soit possible à un tel système. Nous croyons savoir que le vol expérimental entièrement automatique qui fut exécuté sur l'Atlantique Nord utilisait une " estime automatique " basée sur un plan de vol préalablement calculé. Ce système ne nous paraît pas susceptible de donner satisfaction à cause des imprécisions inévitables de la prévision du temps sur la plupart des parcours. Il semble donc que des progrès soient possibles Surtout par l'installation de systèmes connus et éprouvés. Ceux-ci peuvent permettre une simplification de la navigation et une précision accrue. Leur emploi direct par le pilote ne semble possible que pour la navigation à courte et moyenne distance a l'aide d'un traceur de route dont la sécurité de fonctionnement reste à démontrer. La place et le poids du membre d'équipage qui met vu œuvre quelques appareils simples et sûrs sont autant de charge marchande que l'avion ne peut emmener. Mais avec l'accroissement constant du tonnage des avions, l'importance relative de cette place et de ce poids va en diminuant, et par ailleurs le poids et la place des appareillage automatiques destinés remplacer ce membre d'équipage vient en compensation du gain réalisé. S'il y avait " surcompensation " on perdrait sur ce chapitre, mais en admettant un gain il faut que celui-ci soit justifié à la fois sur le plan de la sécurité et sur celui de l'économie. Et ici il convient d'être extrêmement prudent dans la voie où l'on s'engage.
En effet, si par engouement technique on vient à supprimer l'emploi d'un navigant et que l'expérience vienne à prouver que les robots n'offrent pas la sécurité recherchée et sont de prix d'achat et d'entretien, hors de proportion avec le gain réalisé il sera trop tard pour faire marche arrière, car pendant ce temps d'expérience les navigants auront quitté leur spécialité, leur recrutement sera tari et il sera long et difficile de retrouver des hommes de compétence équivalente à ceux qu'on aura perdus. A ce propos il est curieux de voir dans la revue américaine Aviation Week un pilote de ligne américain auteur d'une série d'articles intitulés " Cockpit Viewpoint " faire une revue des opinions exprimées depuis trois ans et constater un revirement de la conception américaine en matière de composition d'équipage.

The old formula for a two-man airplane - captain plus a bookkeeper - is being superseded by the " aircraft commander and crew " idea, écrit-il.
La vieille formule d'un - pilote plus un gratte papier - est progressivement supplantée par l'idée d'un " Commandant de bord et un équipage ". Pendant que nous avons encore la chance de disposer d'équipages complets il serait bien dommage de les perdre puis copiant comme d'habitude les américains, redécouvrir avec un métro de retard que notre ancienne conception était la bonne ! Ne poussons donc pas l'erreur aussi loin qu'eux.

Voyons maintenant le Chapitre réduction des pannes. Nous pensons qu'une amélioration sensible de l'entretien permettrait d'accroître la régularité des vols. Au cours d'une année il serait intéressant de faire une étude statistique des retards, demi-tour ou immobilisations pour causes techniques et pour causes météo et de les comparer. Peut être s'apercevrait-on qu'un effort sur l'entretien serait plus payant que ceux qui sont déployés pour rendre l'atterrissage automatique possible par tous les temps. Et de toute façon, on est sûr qu'il ne petit qu'accroître la sécurité au lieu que le désir d'aboutir à l'atterrissage automatique conduit à prendre des risques supplémentaires.

Enfin, dernière exigence, mais prépondérante : les " progrès " en question doivent s'obtenir au minimum de frais. Ou plus exactement, les frais engagés doivent se justifier par une nette augmentation de sécurité, et de régularité, et de " remplissage ". Il est un point sur lequel il faut faire une remarque d'importance : il s'agit des frais de l'infrastructure. On constate actuellement une nette tendance vers l'indépendance financière des Compagnies aériennes et la suppression des subventions des Etats. Ceci a conduit naturellement à considérer que les frais d'implantation et d'entretien de l'infrastructure doivent être principalement supportés par ceux qui en sont les bénéficiaires. Cette notion paraît irréprochable, mais il semble difficile de discerner dans quelle mesure les uns ou les autres utilisent l'infrastructure et par conséquent quelle part de ces frais ils doivent supporter. Les accords internationaux de cet ordre, en particulier, ne seront pas aisés à résoudre.

Enfin on conçoit que des gens paient pour obtenir ce qu'ils désirent, et dans ce cas il faudrait que les utilisateurs soit obligatoirement écoutés et suivis lorsqu'ils exposent leurs desiderata en matière d'infrastructure. Ce ne peut pas être le cas dans un pays où un haut fonctionnaire incompétent, consulte les utilisateurs et contre l'avis de ceux-ci impose tel système de son choix, mais on peut espérer que le bon sens prévaudra un jour et que certains pouvoirs exorbitants seront retirés à ceux dont le rôle est d'administrer mais non pas d'imposer leurs vues techniques aux frais des contribuables. Alors les exploitants pourront se grouper pour supporter ensemble les frais d'une infrastructure standard correspondant à leurs besoins. Alors aussi nous pensons que certaines de leurs conceptions techniques seront revues en fonction des frais qu'elles entraînent. L'atterrissage par zéro zéro absolu est un jeu coûteux pour " fanas " de la technique. Il n'est réalisé nulle part et n'a pas empêché un prodigieux essor de l'aviation de transport.
Le public l'admet bien comme il admet que dans les cas de purée de pois tous les autres moyens de transport soient stoppés, de même que par fortes chutes de neige, etc... Il n'est pas indispensable qu'il soit résolu, la preuve en est qu'à Londres on connaît des cas où des avions ont atterri puis perdus au milieu du terrain n'ont pu rejoindre l'aérogare. Les voitures d'ailleurs ont mis un temps invraisemblable à les retrouver et à ramener les passagers puis le problème du transport en ville restait posé. Disons que des améliorations sont souhaitables et que la limite pratique est à peu près celle qui correspond à l'utilisation des transports en surface. Ce qui revient à dire que la partie finale de l'atterrissage pourra toujours normalement se faire à vue.

Ce qui revient à dire que le coût du remplacement du pilote humain par le robot ne se justifiera sans doute jamais. Et par pilote humain nous voulons parler d'un vrai pilote et non de surveillant de robot porteur d'un uniforme destiné à en " mettre plein la vue " des passagers. La navigation à petite et moyenne distance ne sera rendue automatique que sur certaines régions réduites. Et encore cela suppose une mise au point technique et des efforts financiers considérables. Puisque l'on a admis plus haut qu'un pilote au moins restera toujours à bord on peut supposer que celui-ci se chargera toujours aussi de cette sorte de navigation.

Quant à la navigation " au long cours " nous pensons que longtemps encore un navigateur ou un membre d'équipage possédant cette qualification sera nécessaire, même avec de nouveaux systèmes supprimant la nécessité de radio-goniométrie de bord. Nous avons vu que la disparition d'un membre d'équipage, si elle apporte un gain de place et de poids n'est acceptable que dans la mesure ou l'appareillage automatique n'est ni trop volumineux, ni trop lourd.
Dans l'immédiat la suppression du radio a conduit à l'emploi de la phonie et la suppression du gonio manuel. Ceci a conduit à un encombrement de cockpit par de nouveaux appareils (émetteurs, récepteurs, convertisseurs, relais, boîte de commande) qui ont amené des difficultés de navigation, (suppression du dérivomètre parfois bien utile sur les régions désertiques de jour où la navigation astronomique est presque toujours impossible, gisements des radios-compas automatiques imprécis ou même dangereusement erronés, difficultés de transmission, travail accru des membres d'équipage restant). Par ailleurs, les sommes dépensées pour mettre en œuvre la phonie, les redevances d'abonnements, le manque à gagner par suite d'erreurs de messages commerciaux nous font considérer que l'opération a été très largement déficitaire.

Dans l'avenir, si la tendance de la prise en charge de l'infrastructure par les exploitants se généralise il est probable que le maintien à bord d'un spécialiste radio sera encore très rentable. Au point de vue mécanique il y a l'aspect entretien au sol et surveillance en l'air. Les progrès de l'entretien au sol seront lents car, il y a un compromis nécessaire entre l'accroissement des durées des fonctionnement sans révision des différentes pièces ou organes et leur sécurité de marche, entre des rotations journalières accrues et le temps nécessaire aux mécaniciens pour l'entretien.

Il faudra, sans doute, longtemps se contenter d'un niveau de sécurité acceptable au-delà duquel un faible accroissement de sécurité devient d'un prix tel que l'exploitation n'est plus possible. Et, longtemps encore, il faudra à bord des mécaniciens pour surveiller l'ensemble complexe et délicat qu'est un avion moderne. Sans doute, au prix d'appareillages compliqués, peut-on rendre certaines choses automatiques mais il nous semble que le technicien embarqué, connaissant à fond sa machine est le plus sûr garant d'efficacité et de rentabilité. En conclusion, nous pensons une fois de plus, que l'intérêt bien compris des transporteurs est de conserver à bord des avions un équipage de spécialistes.