Le poste de pilotage de demain sera plus facile

par Thierry Dubois

La tâche des concepteurs d'un poste de pilotage n'est pas facile. Un cockpit doit permettre aux pilotes d'assurer la sécurité de l'avion dans les meilleures conditions. TI doit donc, avant tout, les informer de la situation de l'appareil. Mais il doit aussi alléger leur charge de travail, sans pour autant susciter de perte de vigilance. En outre, il doit faciliter la coordination de l'équipage. Si l'on veut assurer une bonne ergonomie, le problème tourne à la quadrature du cercle: l'avionique d'un cockpit est, en général, composée de toute une série de' sous-ensembles conçus séparément.

L'affichage tête haute a déjà montré qu'il constitue un progrès dans l'interface homme-machine. Les cockpits de demain devraient en tirer parti et aller plus loin encore. Ils bénéficieront d'une conception plus intégrée, vraiment tournée vers la facilité d'utilisation par l'équipage. Dassault et Honeywell sont les premiers à concevoir un tel poste de pilotage pour des avions civils, en l'occurrence les jets d'affaires Falcon.

Ces dernières années, on a vu, à plusieurs reprises, des avions en parfait état percuter le relief. Ainsi, en 1995, vraisemblablement à cause d'instruments de bord dont les indications étaient incohérentes et que l'équipage a mal interprétées, un Boeing 757 d'American Airlines s'était écrasé dans une région montagneuse près de Cali en Colombie. Parmi les causes probables, les enquêteurs ont relevé que " l'équipage n'était pas suffisamment au fait de sa position verticale, de la proximité du relief ni de sa position par rapport à d'importantes balises de radionavigation ". Tout aurait été plus simple pour les pilotes s'ils avaient pu lire directement leur position sur une carte affichée sur un écran.

ÉVITER LES ERREURS DE LECTURE

De même, il est facile de commettre une erreur de lecture sur un jaugeur de réservoir carburant. L'aiguille descend-elle ou monte-t-elle? Le " zéro" est-il à gauche ou à droite ? Les deux réservoirs sont-ils regroupés sur le même cadran? Le pilote peut se tromper lorsqu'il change d'avion. " Ce sont des erreurs de représentation, explique Jean-Claude Wanner, spécialiste de l'opérateur humain, le pilote peut très bien se forger une image mentale erronée de la situation à partir d'indications qui demandent une interprétation. " D'où la sécurité apportée par des représentations schématiques. Dans le dernier cas, il s'agirait d'un schéma du réservoir sur écran, avec un niveau de liquide également schématisé. " L'expérience montre que l'on ne se trompe pas sur la quantité de vin restant dans une bouteille ", sourit Jean-Claude Wanner. Les technologies modernes donnent la possibilité de réaliser des affichages plus intuitifs.

Michel Salmon, directeur des études à l'Institut français de sécurité aérienne (IFSA), va dans le même sens. " Sur le système FMS de gestion du vol - Flight Management System - certaines représentations sont trop éloignées de la réalité: la vitesse apparaît sous forme de ruban défilant... et l'altitude aussi! ", une bizarrerie qui pourrait être améliorée. Si les techniques d'aujourd'hui permettent de présenter quantité d'informations, " il ne faut pas afficher tout en même temps, met en garde Michel Salmon, il faut que le pilote puisse appeler telle ou telle famille d'informations et la présenter comme il veut ".

Paradoxalement, les avions modernes ont apporté une difficulté supplémentaire pour les pilotes quand il s'agit d'être bien au courant de la situation. " Que fait l'automatisme? Que va-t-il faire après? ", se demandent chaque jour des équipages." L'affichage du mode (le FMA, Flight Mode Annunciator) se trouve juste au-dessus de l'horizon artificiel, indique Jean-Claude Wanner, il donne l'action en cours et la prochaine étape, par exemple un changement d'altitude; c'est une aide précieuse pour le pilote. " Mais beaucoup considèrent que des améliorations sont encore nécessaires et possibles quant à la facilité de compréhension des actions des automatismes.

La perte de vigilance a, jusqu'ici, été " relativement peu impliquée dans les accidents ", estime Jean-Claude Wanner. Pour autant, c'est un vrai problème auquel s'attaquent les concepteurs des postes de pilotage. Et les solutions existent. " Au cours d'un atterrissage automatique sans visibilité, il ne se passe rien: les aiguilles du système d'atterrissage aux instruments (ILS, Instrument Landing System) restent désespérément fixées sur leur position optimale ", décrit notre interlocuteur. Du coup, beaucoup de pilotes se surprennent à penser à autre chose.

C'est que le cerveau humain ne supporte guère l'absence d'information. " Le conducteur impatient de démarrer dès que le feu passera au vert est incapable de le fixer plus de quelques secondes sans détourner son regard vers le spectacle de la rue, là où se trouve de l'information fraîche, même si cette information est inutile ", rappelle Jean-Claude Wanner. Que se passe-t-il quand les instruments ne donnent plus d'information? Le pilote se fabrique de l'information: il pense à autre chose, la perte de vigilance s'installe. Pour l'éviter, il faut donc lui donner de l'information pertinente : " Une représentation synthétique de la piste, l'horizon et le vecteur vitesse par exemple ", suggère notre spécialiste de l'opérateur humain. C'est déjà le cas sur les avions équipés d'affichages tête haute.

Le risque de perte de vigilance ne doit pas être combattu par une moindre utilisation des automatismes, pensent les spécialistes. D'une manière générale, les automatismes doivent alléger la charge de travail de l'équipage. Autrement dit, il faut autant que possible " déléguer aux automatismes les tâches répétitives et fastidieuses de surveillance et de contrôles simples ", affirme Jean-Claude Wanner. De même, les automatismes se chargeront des tâches que même un pilote surentraîné aurait du mal à accomplir avec un bon taux de réussite, soit parce qu'elles demandent des calculs importants, soit parce qu'il faudrait être extrêmement rapide.

Reste que" dans le cockpit, ce qu'on n'a toujours pas réussi à bien intégrer, ce sont les deux pilotes ", estime Michel Salmon. Communications entre les deux membres d'équipages, délégation de tâches de la part du commandant de bord, prise en compte de l'avis du copilote: autant d'éléments de sécurité qui; dans la réalité, ne sont pas toujours parfaits. Il faut y ajouter la nécessaire surveillance mutuelle. Sur tous ces points, une avionique bien pensée peut considérablement améliorer la coordination de l'équipage.

L'AFFICHAGE TÊTE HAUTE VA-T-IL PERCER DANS LES AVIONS CIVILS?

La plupart des pilotes qui ont déjà goûté à l'affichage tête haute (HUD pour Head-Up Display) plébiscitent cet équipement. Il s'agit d'une glace transparente située devant les yeux du pilote et où s'affichent des informations essentielles au pilotage. Ces informations se superposent à la vision normale que le pilote a du monde réel; elles sont collimatées à l'infini, c'est-à-dire que le pilote n'a pas à accommoder sa vision pour lire les indications du HUD.

Sur sa glace, le pilote voit en particulier un " symbole de trajectoire" (ou vecteur vitesse). Il indique " où l'avion va ". Si le symbole est au dessus de la ligne d'horizon, l'avion monte; si le symbole est sous la ligne d'horizon, l'avion descend. Dans ce dernier cas, le symbole de trajectoire donne le point où l'avion toucherait le sol si le pilote n'agissait sur aucune commande. Le vecteur vitesse rend donc le pilotage plus intuitif: le pilote n'a plus à imaginer la trajectoire de l'avion, il la voit.


La tête haute en A320 : Pour plus de sécurité, l'ex Air-Inter avait commandé des affichages tête haute pour ses A320.
Ces appareils volent aujourd'hui sous les couleurs d'Air France.

De plus, la présentation, en phase d'approche, d'une image synthétique de la piste permet au pilote de" voir" cette piste malgré d'éventuelles mauvaises conditions de visibilité. Lorsque l'avion est suffisamment près pour que le pilote puisse la voir, la piste synthétique et la piste réelle se superposent. Tout au long de l'approche, le pilote n'a qu'à viser le seuil de piste avec son vecteur vitesse. On peut considérer que le HUD facilite considérablement la perception de la situation de l'appareil, tout en maintenant la vigilance. Le HUD ramène le vol aux instruments dans l'environnement visuel. disent les promoteurs du système.

Né dans l'aviation de combat pour permettre au pilote de porter son regard vers l'extérieur tout en disposant d'informations de vol, le HUD est encore loin de s'être généralisé dans l'aviation civile. En France, l'ex-Air Inter avait commandé des HUD pour ses Dassault Mercure et ses Airbus A320 (ces A320 volent aujourd'hui sous les couleurs d'Air France). Aux États-Unis, des Boeing 737 d'Alaska Airlines et de Southwest Airlines sont équipés de HUD. En Europe, des compagnies régionales comme Britair, Lufthansa Cityline ou Tyrolean en utilisent sur leurs Bombardier CRJ, des jets d'une cinquantaine de places. Citons encore les affichages tête haute en option sur les avions d'affaires Gulfstream et Dassault Falcon. Sur ces derniers, l'option remporte un beau succès commercial.

PILOTER EN TRAJECTOIRE

Michel Salmon ne voit que des avantages à l'affichage tête haute: " En phase d'approche, le pilote va chercher les informations fondamentales, comme la trajectoire et l'accélération, précisément là où la piste va apparaître en sortant des nuages, souligne le directeur des études de l'IFSA, le HUD montre la piste au pilote ". On évite ainsi " le travail en tête basse dans les phases délicates du vol ". En outre, on visualise le point d'impact (si la trajectoire est maintenue) grâce au symbole de trajectoire.

En phase de croisière, " regarder dehors" reste un bon moyen d'assurer l'anti-abordage : le HUD permet une meilleure surveillance du ciel.

Au décollage, le HUD apporte une sécurité supplémentaire. En cas de panne d'un moteur, le repère " énergie " chute brutalement et fournit au pilote une précieuse indication sur la trajectoire qu'il peut encore adopter.

Bien qu'un effet secondaire de " fascination ", où le pilote oublie de consulter les autres instruments, soit possible (comme avec certains autres affichages), Michel Salmon juge le bilan très positif. Pour lui, le HUD "ne peut qu'augmenter la vigilance et améliorer la prédiction du pilote ". L'affichage tête haute maintient le pilote" dans la boucle de pilotage ". C'est une des raisons pour lesquelles les pilotes le plébiscitent. Quoi qu'il en soit, un pilote parfaitement informé de la situation de l'avion prendra de meilleures décisions, notamment si les conditions se dégradent.

Que manque-t-il aux HUD pour que tous les avions commerciaux volent tête haute? " Le système se généralisera à condition qu'il soit imposé par les autorités ou qu'il prouve sa rentabilité ", pronostique Michel Salmon. Un système d'affichage tête haute coûte environ un demi million de dollars (550000 euros); le prix d'un appareil moyen-courrier de 150 places se situe aux alentours de 50 millions de dollars (55 millions d'euros). La rentabilité, un argument que Dassault met en avant pour la visualisation tête haute de ses Falcon. L'indication des valeurs des accélérations et décélérations au sol et une plus grande précision du point d'impact permettent d'économiser les freins de l'avion. De plus, effectuer un atterrissage du premier coup évite une remise de gaz et permet donc d'économiser du carburant. Selon Dassault, des évaluations ont, en effet, montré que l'utilisation du HUD donnait un bien meilleur taux de réussite à l'atterrissage. "Seul l'atterrissage automatique peut donner des résultats comparables ", estime l'avionneur.

EASY, LE PREMIER COCKPIT DE LA NOUVELLE GÉNÉRATION

Mais Dassault travaille aujourd'hui à ce qui pourrait bien être le premier poste de pilotage d'une génération radicalement nouvelle. Avec le spécialiste de l'avionique Honeywell, le constructeur français met au point le cockpit EASy (qui veut dire" facile ", à partir des premières lettres d'Enhanced Avionics System, pour système avionique amélioré). Si le concept fait école, il pourrait devenir à l'aviation ce que le passage de DOS à Windows a été à l'informatique.

"EASy, ce n'est pas seulement de l'électronique mais surtout ce que Dassault en a fait ", affirme-t-on chez l'avionneur. De fait, les pilotes vont se retrouver face à une interface homme-machine beaucoup plus conviviale, avec notamment l'équivalent d'une souris (en fait une boule roulante, comme sur les ordinateurs portables) qui contrôle un pointeur sur les écrans.

"Nous avons cherché à améliorer la perception de la situation par le pilote et la coordination de l'équipage ", explique Jean-François Georges, directeur général des avions civils chez Dassault. Le tout en réduisant autant que possible la charge de travail. De fait, le système se veut très intuitif.

Le poste de pilotage comprend quatre grands écrans de 36cmde diagonale, disposés en" T". Sur " son " écran, chaque pilote a, face à lui, les informations essentielles de vol: paramètres moteurs, horizon artificiel, compas, etc. il peut disposer ces informations comme bon lui semble et choisir d'afficher ou de cacher certaines informations secon daires. Au centre, l'écran du haut est consacré à la navigation tandis que celui du bas contrôle la gestion du vol, les systèmes hydraulique, carburant, etc. et les listes de vérifications (check-lists).

Quelle est la place de l'affichage tête haute dans le poste de pilotage EASy? " Elle est essentielle, répond Jean-François Georges, et la symbologie du HUD a inspiré celle de l'affichage tête basse. " Ainsi, le pilotage tête basse se fait en prenant la trajectoire comme référence. Un moyen de rendre plus immédiate la perception par le pilote de la situation de l'avion.

Dans le même esprit, les pilotes voient directement leur position sur une carte défilante. Ils peuvent à leur convenance afficher les balises de navigation, les frontières politiques et le relief. Ils peuvent d'ailleurs mieux visualiser ce dernier grâce à une coupe verticale de la position de l'avion.

De même, les informations gagnent en clarté. Si le pilote en a besoin, il peut afficher un schéma du système de carburant par exemple. schéma où sont indiqués les niveaux de carburant, les pompes actives et les vannes fermées. Un tel schéma s'affiche d'ailleurs automatiquement si, au cours d'une check-list, le pilote effectue une action liée au système de carburant: un transfert de réservoir par exemple. Ces check-lists, qui s'affichent sur l'écran du bas, se déroulent au fur et à mesure que le pilote accomplit les actions indiquées. Ce sont des capteurs qui indiquent au système si le pilote a bien mis les volets en position " décollage" par exemple.

La charge de travail est aussi réduite grâce à une gestion plus graphique du vol et à un nombre réduit de commandes. Une bonne partie de celles-ci sont regroupées autour de la boule roulante.

Quant à la coordination de l'équipage, elle repose notamment sur un partage des deux écrans centraux par les pilotes. Chacun peut y accéder avec son pointeur. Dassault affirme avoir cherché à éviter les situations où" il n'y a pas un équipage, mais deux pilotes ", chacun programmant son FMS de son côté. " On force la coordination ", souligne Jean-François Georges.

Dassault va-t-il faire des émules avec le poste de pilotage EASy? Les pilotes sont-ils à l'aube d'une révolution avec une gestion plus facile du vol? L'avenir nous le dira. En attendant, le premier appareil équipé du cockpit EASy, un triréacteur Falcon 900EX, devrait faire son premier vol d'ici à la fin de l'année.