ETUDE RATIONNELLE DU PILOTAGE

DES

AVIONS

par l'ingénieur

en chef de l'Armement KLOPFSTEIN

 

 

RECHERCHE DES INFORMATIONS NÉCESSAIRES

 

L'instrumentation des avions résulte d'une série de «coups de pouce» faisant appel essentiellement aux progrès de la technologie; mécanique de précision, électronique et plus récemment de l'informatique. Il semble néanmoins qu'une étude rationnelle des informations nécessaires à la conduite d'un aéronef n'ait jamais été effectuée.

 

Supposons qu'il n'y ait pas d'oiseaux, ni d'insectes volants dans notre monde, et que l'idée du «plus lourd que l'air» ne soit apparue que récemment. Que ferait une équipe d'ingénieurs venant de découvrir la sustentation aérodynamique et construisant le premier «aéronef» pour rendre cet aéronef « pilotable » par un aéronaute ?

Ils chercheraient, avant d'entreprendre cette étude, à définir les objectifs. L'objectif essentiel du « pilotage » d'un aéronef est certainement de pouvoir... l'emmener où l'aéronaute le désire.

 

Piloter un avion c'est donc lui faire décrire une trajectoire désirée.

Cette définition étant acquise il faut donner à cet aéronaute:

- les moyens d'actions

- les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

 

Commençons par les moyens d'action.

Pour incurver la trajectoire d'un mobile il faut créer une force, normale à la trajectoire, dans la direction où l'on désire l'incurver.

Notre équipe d'ingénieurs, travaillant à la réalisation du premier « aéronef », arriverait probablement à la conclusion que pour le vol atmosphérique le meilleur processus consiste à « orienter » et à « moduler » la force de portance. Le premier avion aurait donc une gouverne de « variation de portance », c'est-à-dire la gouverne de profondeur et une gouverne d'« orientation de portance », c'est-à-dire la gouverne de roulis.

Il aurait été doté également d'une gouverne de « contrôle de symétrie d'écoulement » agissant sur l'équilibre en dérapage, c'est-à-dire la « gouverne de direction ».

On aurait probablement trouvé quelque chose d'assez peu différent des conceptions actuelles.

Pour un avion allant « assez vite » sans servocommandes, on voit difficilement com­ment ne pas utiliser les magnifiques propriétés du... levier. D'où le montage d'un... manche à balai !

 

Passons aux informations nécessaires.

Reprenons la définition du pilotage qui se résume à : « faire décrire à l'avion une trajec­toire prédéterminée ».

Le premier instrument de bord qui viendrait à l'esprit est... le pare-brise (ne serait-ce que par analogie, pendant la phase décollage, à la conduite d'une voiture automobile...). Cet instrument peut paraître inutile ou nuisible dans certains cas : croisière face au soleil, croisière nocturne, atterrissage par visibilité et plafond nuls. Des gens, à première vue sensés, ont même essayé de faire un avion dépourvu de pare-brise. Nous pouvons affirmer que cet instrument est indispensable (même s'il doit parfois être obturé) ne serait-ce que par les spectacles extraordinaires que l'on peut y observer. Le moral de l'équipage de conduite étant un facteur important de sécurité cet instrument doit être conservé chaque fois que cela est possible.

L'avion devant être emmené où l'équipage le désire, la première information fournie au pilote aurait été la trajectoire, c'est-à-dire en toute rigueur : la trace à l'infini de la tangente à la trajectoire. C'est le vecteur vitesse collimaté.

 

Nous savons tous qu'un pilote n'a jamais pu obtenir cette information avec exactitude, il suffit de réduire la poussée sur une mer de nuages et de se poser la question « où va-t-­on rentrer dedans » pour réaliser à quel point... le pare-brise pouvait paraître inutile car ne fournissant pas les renseignements demandés.

D'autres exemples illustrent aisément cette lacune

- arrivée face à une montagne, près du sommet. L'altimètre, le QNH et la température, ajoutés à l'erreur de statique de l'avion répondent mieux que l'image extérieure à la question : passe-t-on dessus ? (Ou pas du tout)

- pilote débutant qui s'aligne convenablement sur une piste mais se retrouve le plus souvent beaucoup trop « long »

- erreurs graves en approches nocturnes par beau temps détectées très tard par des pilotes chevronnés lors de l'utilisation de terrains particuliers (déserts, bords de mer, absence de glide path).

 

Certains diront : l'aviation a pu exister jusqu'à nos jours sans cette information. Ceci est heureusement vrai mais la première cause d'incidents, le plus souvent sans gravité, reste due à des atterrissages « un peu courts » ou « un peu longs » qui peuvent évidemment dans la plupart des cas être rattrapés par « un bon coup de gaz » ou un freinage énergique lorsque d'autres circonstances aggravantes (gradient de vent impor­tant, piste verglacée) ne viennent pas transformer l'incident en accident.

Notre équipe d'ingénieurs fournirait donc l'information de trajectoire dans le pare-­brise.

 

L'aérodynamicien de l'équipe ferait alors la remarque suivante :

« Piloter un avion consiste à amener la trajectoire sur le point où l'on désire se diriger, mais encore faut-il pouvoir le faire... ».

 

Cela signifie en clair que l'avion doit voler et continuer à voler. La sustentation doit être assurée et pour qu'elle le soit, il faut que l'écoulement de l'air autour de la structure soit sain. Cette condition est réalisée, en incompressible, quand l'incidence, c'est-à-dire la direction d'arrivée de l'écoulement, reste dans des limites précises. Le pilote doit donc connaître son incidence.

Comment faisait-on jusqu'à présent ? L'équation de portance d'un avion montre qu'à un facteur de charge donné et à une masse bien définie une relation « biunivoque » relie l'incidence et l'indication d'un manomètre différentiel appelé parfois... anémomètre. Cette équation, en incompressible (aux basses vitesses), ne dépend ni de l'altitude, ni de la température.

 

On avait donc un bon « succédané » d'incidencemètre. Il fallait bien faire attention de ne pas décrocher en virage trop serré, et de majorer convenablement l'indication de l'ins­trument quand l'avion était lourd. Mais dans tous les cas la plus faible vitesse d'atter­rissage est obtenue, compte tenu d'une « garde » raisonnable, pour une incidence donnée, toujours la même quelles que soient les autres conditions (altitude, tempéra­ture, masse, facteur de charge). Avec un bon incidencemètre... l'anémomètre devient inutile en approche.

 

Ceci ne veut pas dire qu'il faut... l'enlever !

Quand les « butées » de sécurité sont représentées par une répartition de pressions qui risquent d'endommager ou de détruire l'avion, un manomètre différentiel représentant une synthèse de ces pressions devient indispensable. Il peut être pratique d'ailleurs de le graduer en... vitesse pour des conditions de pression et de température bien définies. Mais ceci ne reste qu'une coïncidence (très pratique d'ailleurs...).

 

Quand ces « butées » sont matérialisées par l'apparition d'ondes de recompression (ondes de choc), qui peuvent détruire l'équilibre en tangage de l'avion ou réduire dangereusement les efficacités des gouvernes, il est indispensable de mesurer à bord de l'avion le paramètre qui définit l'apparition de ces discontinuités dans l'écoulement. Un machmètre est absolument nécessaire.

 

En somme le choix des informations nécessaires ne doit pas faire appel à la routine, à l'empirisme, au principe d'autorité... mais à une analyse des objectifs à atteindre et des conditions de sécurité à respecter.

 

En ce qui concerne le pilotage des manettes de puissance, ou de poussée, nous allons effectuer le même raisonnement.

 

L'avion (de transport) va évoluer « presque » tout le temps sur des trajectoires stabilisées c'est-à-dire :

- trajectoires sensiblement rectilignes

- virages à taux constant

- montées et descentes avec maintien d'un ou plusieurs paramètres (incidence, pente)

- descente finale rectiligne avec augmentation de l'incidence par sauts...

 

Dans la plupart de ces cas l'équation longitudinale montre que la poussée doit équi­librer la différence entre la traînée et la composante du poids le long de la trajectoire.

L'objectif du pilotage de la poussée est donc son ajustement en fonction de la diffé­rence : traînée moins composante du poids sur la trajectoire.

 

Or, depuis des dizaines d'années des ingénieurs s'obstinent à donner aux pilotes... une mauvaise idée de la poussée, sous forme de débits (et là, ce n'est pas trop mauvais...), de régimes, de rapports ou de différences de pressions, de températures diverses et variées, et même de surfaces (position des tuyères lorsque la section de sortie varie, par exemple). Tous ces paramètres sont des paramètres de sécurité : un régime trop important peut amener un fluage des aubes ou un éclatement du disque de turbine, une température trop élevée devant turbine... les mêmes phénomènes ; un débit trop grand peut amener une charge trop importante sur le compresseur, un ensemble de paramètres peut amener autour d'une aube de compresseur un écoulement incompatible avec son « aérodyna­mique » : décrochage de compressibilité.

 

Le fait de rester, en considérant un espace à n dimensions, dans un « volume » déterminé représentant le «domaine» de fonctionnement correct du moteur correspond aux « butées » rencontrées dans le vol de l'avion.

Mais il faut en restant entre ces « butées » pouvoir ajuster la position des manettes en fonction du besoin de l'avion, c'est-à-dire de la différence entre la traînée et la compo­sante du poids.

Un exemple fera mieux comprendre cette analyse de l'objectif : supposons un avion dont le pilote désire voler en palier (composante de poids nulle) à incidence constante (donc vitesse constante...). L'ajustement des commandes de puissance doit conduire à une poussée égale à la traînée.

Si l'on sort le train tout en désirant conserver la même altitude et la même vitesse, il faut augmenter la poussée...

Si l'on se met en virage une augmentation de poussée doit compenser l'augmentation de traînée due à la traînée induite.

En résumé en conservant altitude et vitesse constantes il faut, suivant les cas (train haut ou bas) et suivant les taux de virage, des poussées toujours différentes... mais toujours une différence poussée moins traînée nulle.

Un pilote disposant d'un indicateur de poussée parfait (un mythe... d'ailleurs) devrait donc se souvenir dans tous les cas de la poussée nécessaire.

S'il dispose d'un indicateur de « poussée moins traînée » il suffit qu'il se souvienne du chiffre... zéro, dans tous les cas.

 

Résumons ce premier chapitre : Piloter un avion, c'est l'emmener où l'on désire, donc l'information nécessaire est la trajectoire.

 

La condition de sécurité est, au décollage et à l'atterrissage, de conserver un écoulement sain autour de la structure, donc l'information nécessaire est l'incidence. L'ajustement des manettes doit être effectué en fonction de la différence entre la traînée et la composante du poids, qu'il faut donc fournir au pilote. Les conditions de sécurité sont données par un contrôle correct des « paramètres moteurs ».

Dans ce dernier cas on omet volontairement les problèmes de navigation et rayon d'ac­tion où les débitmètres, jaugeurs et... la montre sont évidemment bien utiles...

 

DÉFINITION ET ÉLABORATION DE CES INFORMATIONS

 

Sans revenir sur les études et expériences qui conduisirent aux résultats, on peut retenir que l'idée de base a été de présenter sous forme simple et intuitive les deux informations de base, trajectoire et incidence, à l'aide d'un seul réticule mobile. On utilise le théo­rème simple suivant :

« Le vecteur vitesse de l'avion par rapport à la masse d'air est égal et opposé à celui de la masse d'air par rapport à l'avion... ».

En termes plus imagés, mais plus parlants :

« L'avion avance dans l'atmosphère dans la direction d'où lui parviennent les molécules d'air... ».

 

Si donc on « peint en rouge » la molécule d'air qui arriverait de l'infini dans l'oeil du pilote (sans tenir compte de la déflexion du capot bien entendu...) ce point rouge repré­sentera :

- la position future de l'avion s'il n'incurve pas sa trajectoire (tangente à la trajectoire), si l'on considère la position de ce point rouge dans le paysage...

- la direction d'arrivée des molécules d'air, si l'on considère la position de ce point par rapport à l'axe longitudinal de l'avion, donc par définition l'incidence.

 

La Figure 1 fait comprendre ce principe.

Dans les 3 cas l'avion

- est dans un plan de descente correct (3° par exemple)

- a sa trajectoire orientée dans ce plan de descente (donc rejoint l'entrée de piste) donc dans les 3 cas le repère de trajectoire se trouve sur l'entrée de piste, elle-même située 3° sous la ligne d'horizon.

 

Les 3 images du monde extérieur a, b et c sont donc identiques. En effet si on enlève l'avion, les 3 images sont les mêmes.

 

Par contre dans le cas a, l'avion va trop doucement, il est donc trop cabré. La piste et le repère de trajectoire sont très bas dans le pare-brise.

En b, tout est correct, en c, l'avion va trop vite, son incidence est trop faible, toute l'image est en haut du pare-brise.

Si donc on matérialise, par une croix par exemple, une direction fixe par rapport à ['avion, représentant géométriquement la bonne incidence d'approche aa (avec la « garde » raisonnable) l'ensemble réticule mobile (points rouges) et croix fixe donne les 2 informations souhaitées :

- Trajectoire

- Incidence

 

Les points rouges, observés par rapport au « monde extérieur » donnent le « point d'impact futur ».

 

 

S'ils se trouvent au-dessous de la croix fixe les molécules d'air arrivent de trop bas... l'incidence est trop grande.

S'ils se trouvent au-dessus, l'incidence est trop faible. La coïncidence assure à la plus basse vitesse d'atterrissage un écoulement correct avec une marge « certifiable ».

Pour actionner ce réticule il suffit d'une simple sonde d'incidence.

 

Sans rentrer dans les détails il suffit de retenir que la mesure de l'incidence sur un avion est au moins aussi simple et fiable que celle de la pression statique, elle est même théo­riquement moins sensible à l'implantation de la sonde.

 

La relation incidence locale, mesurée par la sonde (pratiquement n'importe où sur l'avion...) incidence fuselage, est linéaire pour une configuration et un nombre de mach donné. Le seul inconvénient réside dans le fait que, si l'on veut étendre le système dans tout le domaine avion, il faut une correction de la loi en fonction du nombre de mach. Lorsque cette loi est établie, il suffit de positionner un réticule sur l'incidence fuselage à l'échelle 1.

 

Ceci est impératif, un changement d'échelle ferait perdre l'information de trajectoire. L'information nécessaire au pilotage des moteurs est donnée aisément en mesurant à bord de l'avion la « variation réduite de la hauteur totale ».

Si un avion est à une altitude z, son énergie potentielle est mg z. Son énergie cinétique est, à la vitesse V, 1/2 mV².

On appelle énergie totale la somme :

E = mg z + 1/2 mV²

 

La quantité E/mg = z + V²/2g est homogène à une hauteur ; on l'appelle hauteur totale H.

 

Cela signifie qu'un avion volant à 1000 m d'altitude à 200 m/s « peut » théoriquement monter en plané à :

1000 + (200)²/(2x9,81) = 1000 + 2000 = 3000 m

 

La dérivée de la hauteur totale est :

 

H' = z' + V.V'/g

              

On divise par la vitesse pour avoir un nombre sans dimension. La dérivée réduite est donc :

H'/V = z’/V + V’/g

 

Le premier terme z’/V représente le sinus de la pente g

 

Le second terme V’/g l'accélération sur la trajectoire exprimée en unités « g ».

                      

C'est cette quantité H’/V, variation réduite de la hauteur totale, qu'on appelle pente totale, et quelquefois, improprement, pente potentielle.

 

Cette relation signifie simplement que la variation réduite d'énergie totale est repré­sentée par la somme de la pente (qui représente la dérivée réduite de l'énergie poten­tielle) et de l'accélération sur trajectoire (qui représente la dérivée réduite de l'énergie cinétique).

En effet, quand la pente est positive, l'avion monte, donc son énergie potentielle aug­mente et vice versa.

Quand il accélère sur sa trajectoire, sa vitesse augmente, donc son énergie cinétique augmente et vice versa.

 

 

De l’équation générale du vol :

 

Eq1 ERPA

Eq3 ERPA

 

On tire :

 

Eq2 ERPA

 

(T – Rx)/mg = H’/V

 

La pente totale est donc l'expression de l'excédent (ou de l'insuffisance) de la poussée sur la traînée.

 

La valeur Eq4 ERPApeut être mesurée par un accéléromètre calé en permanence selon la trajectoire dont on relèverait l'indication brute (non corrigée de la pesanteur afin de conserver le terme sing).

 

 

Pour plus de facilité, on préfère en général disposer de deux accéléromètres fixes, calés selon l'axe avion et selon l'axe perpendiculaire situé dans le plan de symétrie de l'avion. Leurs indications brutes (non corrigées de la pesanteur) Jx et Jz sont introduites dans un petit calculateur pour fournir la valeur Jx cos a - Jz sin a (a = incidence fuselage) qui représente la projection sur la trajectoire de ces accélérations, donc comme précédemment :

la valeur Eq5 ERPA

 

Si on ajoute au vecteur vitesse dans le pare-brise, qui est en fait un indicateur de pente, un réticule donnant la pente totale, la distance de ce dernier réticule au premier donne une image intuitive de l'accélération sur trajectoire.

 

 

 

Quand le réticule représentant la pente totale est au-dessus des 3 points rouges repré­sentant le vecteur vitesse, il y a trop de poussée pour équilibrer le vol : l'avion accélère. Quand il est au-dessous des 3 points rouges, il n'y a pas assez de poussée : l'avion décélère.

Le réticule pente totale est pilotable avec la manette de poussée (terme T). Il est évidem­ment « influençable » par toute variation de traînée (sortie de train, changement de vitesse ou de configuration etc. : terme Rx) mais ceci est un AVANTAGE.

 

Ce dernier système est infiniment meilleur que les indicateurs « Fast-Slow » que l'on trouve parfois, car il indique une variation d'incidence qui va se produire et non pas un petit écart.

Il faut évidemment corriger en disant :

Accélération = diminution d'incidence en trajectoire stabilisée; décélération = augmen­tation d'incidence. mais l'accoutumance est immédiate.

 

Ce système est finalement très simple, donc fiable et peu onéreux. Un seul inconvénient résulte du fait que le positionnement du réticule « pente totale » doit se faire à partir de l'horizon. Il est donc entaché (et ce n'est pas le cas du vecteur vitesse) de l'erreur de verticale.

 

UTILISATION DES INFORMATIONS - PRÉCISIONS OBTENUES

 

L'utilisation du repère de trajectoire est évidente. Une étude théorique montre que la pilotabilité du réticule en utilisant la commande de profondeur est très voisine de celle de l'attitude (ceci grâce au filtrage de turbulence qui est effectué par rapport à l'axe de l'avion).

La précision obtenue est de l'ordre du dixième de degré en atmosphère calme, du demi ­degré en turbulence moyenne. Elle dépend évidemment du type d'avion. Des erreurs erratiques du demi degré n'influent absolument pas sur la trajectoire obtenue car leur valeur moyenne est nulle et la trajectoire est l'« intégrale » de la vitesse, donc en fait une « moyenne ».

Une erreur systématique provient du vent, qui fait que la trajectoire sol n'est pas la trajectoire «air ».

Le vent introduit une « dérive verticale » qui fait que si l'on vise un point d'une piste avec le vecteur vitesse air, on le rejoint en décrivant une sorte de « courbe du chien » très voisine de la ligne droite.

La « flèche » de cette courbe du chien est faible, cela tient à ce que la route (en fait le plan de descente) fait un angle très faible avec le vent : en effet près du sol le vent est toujours horizontal, et le plan de descente ne fait au maximum que 3 ou 4 degrés avec l'horizontale, la dérive est donc très réduite.

Mais l'impression visuelle de « creusement » est néanmoins forte : quand on est 10 pieds en dessous du plan de descente à 200 mètres du point visé sur la piste, la ligne de visée fait un angle avec l'horizontale de près de 30 % de moins que l'angle de descente normal. L'impression d'aplatissement est donc très accentuée en courte finale bien que l'enfon­cement par rapport au plan de descente théorique soit très faible.

Comme cette dérive est aisée à corriger, il est peut-être plus logique d'effectuer une correction résultant d'une formule simple - Figure 6 ­-

 

correction = pente de descente choisie x (Vitesse du vent / Vitesse avion)

 

 

Cette correction peut être introduite aisément dans le réticule du collimateur.

On pourrait évidemment donner la trajectoire sol, mais cette information nécessite une élaboration compliquée, donc chère et peu fiable, en plus elle ne permet pas :

- la matérialisation de l'incidence

- l'arrondi et l'impact.

 

Dans tous les cas, la correction doit être négligée en courte finale, la flèche est alors imperceptible si l'on part du plan de descente correct.

L'utilisation de l'information incidence et du variomètre d'énergie totale est extrê­mement simple : sur une pente donnée, l'index de pente totale doit être au-dessus de la trajectoire (accélération) si l'incidence est trop grande, en dessous dans le cas contraire. Quand l'incidence est correcte on le positionne avec les manettes de poussée en face du vecteur vitesse.

On peut dire que l'index de dérivée d'énergie totale « aspire » le vecteur vitesse dans des axes liés à l'avion.

 

Lorsque la poussée n'est plus pilotable (panne de moteur en montée par exemple), on agit évidemment sur la pente de trajectoire pour communiquer à l'avion des accéléra­tions si l'incidence est trop grande.

 

Lorsqu'on se trouve à la bonne incidence, le repère de variation d'énergie totale figure la pente maximum sur la poussée restante.

 

Dans des conditions normales la règle de pilotage est la suivante :

 

- affichage du réticule trajectoire sur un point sol ou sur un repère de pente

- modulation de la poussée, à l'aide de l'index d'énergie pour assurer une incidence correcte.

 

Dans l'ordre : trajectoire, incidence, énergie totale.

 

En panne de moteur :

 

- Recherche de l'incidence optimale par action sur la trajectoire relativement à l'index d'énergie.

- Action sur la trajectoire pour afficher l'angle de montée maximum.

 

L'assiette de tangage n'est plus pilotée ! En fait son pilotage est inutile :

- parce que les objectifs du pilotage que nous avons définis ne l'utilisent pas

- parce qu'en fait étant la somme de la pente de la trajectoire et de l'incidence elle sera mieux... pilotée que quand on l'utilisait !

 

Cette dernière relation montre que l'information d'attitude créait une redondance inutile qui compliquait le travail du pilote.

 

 

En effet l'attitude Q (têta) étant égale à la pente G (gamma) plus a (alpha) , on voit qu'il est strictement impossible d'« afficher » a priori une attitude, un « badin », donc une incidence et d'avoir en même temps une pente g convenable puisque la pente va résulter des valeurs de Q (têta) et de a (alpha).

Or g est un objectif, a une condition de sécurité, on ne peut supprimer que Q (têta).

Il faut évidemment conserver de (très) bonnes références de verticale dans les avions, elles sont nécessaires pour mesurer, avec le vecteur vitesse, la pente de la trajectoire. Le vecteur vitesse étant obtenu au 1/10è de degré, on voit que des progrès restent à faire (hormis l'inertie) dans les gyros de verticale...

 

L'arrondi et l'impact deviennent des opérations très méthodiques : la phase finale de l'atterrissage consiste à infléchir la trajectoire pour lui donner une pente qui conduit à une vitesse verticale compatible avec les limites structurales et le confort des passagers. Cette pente se trouve être de 0,6 à 1° pour la plupart des avions.

 

A une altitude prédéterminée il suffit donc d'afficher cette pente, de la maintenir et d'attendre le sol.

Cette manœuvre n'a aucun rapport avec la méthode préconisée par certains pilotes acrobates qui prétendaient pouvoir afficher une... attitude et attendre le sol. Ils oubliaient que 3 à 5 nœuds de moins que l'indication... coutumière pouvaient conduire à une incidence de 1° plus forte (à même attitude évidemment) donc à une pente de trajectoire de 1° plus forte. Donc finalement à une vitesse verticale à l'impact... double !

En fait ils ne maintenaient pas l'assiette mais lui donnaient inconsciemment un « petit coup à cabré » avant le sol..,

 

L'intérêt du vecteur vitesse air est très important en gradient de vent. La constance de la « visée » amène le pilote à effectuer sans s'en apercevoir l'incurvation de trajectoire « air » corrigeant exactement l'enfoncement dû au gradient. S'il est attentif à son paramètre de sécurité : l'incidence (qu'il a sous les yeux puisque le même réticule est utilisé...), il observera simultanément une augmentation d'incidence qu'il corrigera aisément par action immédiate sur la poussée.

 

Il est intéressant de noter qu'aucune procédure spéciale n'est à envisager. Un repère de pente, matérialisant un « site » déterminé par rapport à l'horizon est le complément indispensable des informations décrites.

Les Figures 8 et 9 donnent des exemples d'utilisation.

 

 

Figure 8 - l'avion est en descente équilibrée à la bonne incidence, mais en dessous du plan de descente choisi.

Le vecteur vitesse étant au-dessus du repère de pente, la pente est plus faible que la valeur normale. L'entrée de piste apparaît donc évidemment au-dessus du repère de pente.

 

Figure 9 - L'avion est stabilisé au-dessus du plan de descente choisi.

 

 

HISTORIQUE DES ESSAIS EFFECTUÉS

 

La première expérience a été réalisée sur simulateur en utilisant un collimateur électromécanique (CSF 200) qui représentait une piste, Ce collimateur avait volé, sans vecteur vitesse, et la coïncidence entre la piste réelle et la piste synthétique avait été obtenue en vol. Sur simulateur, le vecteur vitesse permettait d'aller à l'impact en utilisant uniquement le collimateur.

 

La première étude en vol fut effectuée en utilisant un collimateur rustique, bricolé, dont la pupille n'excédait pas 45 mm ! L'avion était le Mirage III B à stabilité variable qui, malheureusement, ne peut être « posé » par le pilote en place avant qu'en « détresse » uniquement (pilotage électrique simple chaîne).

Les approches, exécutées jusqu'à 150 pieds, montraient un « bond » dans la précision du pilotage. Les écarts anémométriques et les écarts d'assiette étaient réduits dans un rap­port 3 à 4, ces deux paramètres n'étant plus pilotés. Ceci se passait en 1968.

 

Ces résultats permirent la construction d'un collimateur simplifié (un diamant mobile, un trait fixe) mais de bonne qualité qui fut avionné sur un Mirage III B de série. Celui-ci pouvait être alors posé par le pilote qui disposait du collimateur.

 

Une expérimentation officielle par le Centre d'Essais en Vol suivit l'expérimentation initiale de l'auteur. Elle permit à une trentaine de pilotes de réaliser plus de quatre cents atterrissages, dont 30 de nuit, dans des conditions de répétitivité jamais obtenues à ce jour : des pilotes familiarisés avec le nouveau type de pilotage « touchaient » la piste avec des écarts anémométriques de quelques nœuds, avec une dispersion longitudinale de l'ordre de cent mètres et avec une dispersion de vitesse verticale à l'impact inconnue jusqu'à ce jour.

 

Cette première expérimentation a conduit l'Aéronautique Navale à envisager la modi­fication de ses chasseurs embarqués.

 

Dès 1969, les premiers pilotes de ligne ont pris contact avec ce système. Ces vols d'infor­mations ont conduit l’OCV à émettre un « vœu » sur la poursuite de cette expérimen­tation dans l'aviation commerciale.

Le premier collimateur « bricolé » fut monté ensuite sur le Nord 262 de l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique et des contacts furent pris avec la Direction des Opérations aériennes d'Air France.

Ces contacts permirent au Département Etudes de lancer l'expérimentation du vecteur vitesse en utilisant une extrapolation d'un matériel commercial existant, en fait mal adapté à ce genre de figuration (voir chapitre suivant).

Mais l'auteur tient à rappeler qu'à l'époque il n'y avait... rien d'autre! Et que c'est grâce à l'intérêt porté par la Compagnie à ces études qu'il a pu obtenir les crédits néces­saires à la réalisation de 2 matériels expérimentaux de technologie complètement nou­velle, parfaitement adaptés à la présentation de ces informations et qui représentent en fait les « prototypes » des collimateurs à vecteur vitesse et énergie totale qui devraient être utilisés dans l'aviation commerciale d'ici quelques années.

 

Pour mémoire il faut citer une expérimentation menée par l'UTA qui a comparé un matériel américain utilisant une approximation de la trajectoire « sol » et un matériel français capable de vecteur vitesse air et d'énergie totale.

Malgré la technologie déjà ancienne et l'encombrement du matériel français l'expérimentation se poursuit avec ce dernier matériel.

 

Le variomètre d'énergie totale vole depuis plus d'un an sur le N.262 de l'ENSA ; la simplicité de l'interprétation des renseignements fournis a entraîné une approbation unanime de la part de tous les pilotes qui l'ont utilisé, civils et militaires.

 

Les deux prototypes de collimateur mentionnés plus haut consistent:

- d'une part en un collimateur «VMC » de faible encombrement, comportant uni­quement vecteur vitesse (et incidence) et énergie totale. La technologie est extrêmement simple et fiable.

- d'autre part en un matériel « tout temps » à tube cathodique représentant en plus une piste collimatée.

 

Le premier collimateur en version «préindustrielle» devrait être expérimenté en ligne en 1972.

Le second a donné des résultats dépassant les prévisions les plus optimistes : le Nord 262 peut être posé à la main, sous capote, dans des conditions où aucun système auto­matique ne peut être envisagé aujourd'hui pour effectuer le même travail. De nombreux atterrissages ont en effet été réalisés par des vents arrières de plus de 30 nœuds dans des conditions de turbulence où l'embrayage d'un PA sur les seules surveillances gyros­copiques ne « tient » pas.

Ce collimateur vole depuis avril 1971, le premier atterrissage sous capote a été réalisé au quatrième vol.

 

En janvier 1972 ce matériel, bien qu'à l'état de maquette de laboratoire, a réalisé plus de 250 heures de vol pratiquement sans panne. Plus de 150 atterrissages sous capote ont été réalisés, 18 en conditions CAT III réelles.

 

Il faut mentionner que plus de 30 % des atterrissages sous capote ont été réalisés par des pilotes de ligne après une heure de « briefing » et trois quarts d’heure d'accoutumance à ce mode de pilotage.

Cette expérience, réalisée avec une majorité de pilotes de la Compagnie Air France est certainement unique dans les annales de l'instrumentation des avions car elle a pu être terminée moins de 9 mois après le premier vol !

 

« ERGONOMIE » DU COLLIMATEUR

 

En fait, quelques « réticences » subsistent. Elles sont inévitables... et peu nombreuses. Elles tiennent certainement au fait que jusqu'à présent ce que l'on appelait « Head Up Display » consistait essentiellement à encombrer le pare-brise... avec la planche de bord, c'est-à-dire avec des cadrans, des échelles, des index, des chiffres etc.

 

Les inconvénients étaient de deux sortes :

- ces informations n'étaient pas « liées » au monde extérieur. Par exemple si un chiffre 60 était superposé au sommet de la tour de contrôle cela ne signifiait nullement que cette tour avait 60 pieds de haut... le pilote lisait peut-être une hauteur de 60 pieds en face d'un repère mais alors il ne « voyait » plus la tour de contrôle. On avait supprimé le pare-brise ! (Voir plus haut).

 

- ces informations étaient liées à l'avion, par exemple une rose des caps se trouvait toujours au même endroit dans le champ du collimateur. Lorsque le pilote lisait le cap, la direction de son regard était donc fixe par rapport aux repères liés à l'avion. Or tout le système oculomoteur de l'œil humain est conçu pour que ce « capteur » puisse rester fixé sur un objet quelconque malgré les mouvements du corps et de la tête. Il vaut donc mieux, en turbulence, regarder « dehors »... que lire un livre que l'on tient dans les mains, qu'un tableau de bord, ou qu'un mauvais collimateur !

 

Le vecteur vitesse, la piste synthétique, sont typiquement des informations parfaitement adaptées à une superposition au monde extérieur dans le pare-brise, les deux inconvé­nients cités plus haut disparaissent.

 

CONCLUSIONS


L'auteur tient à remercier la Direction des Opérations qui lui a permis d'exprimer son point de vue dans ces quelques lignes. Une expérimentation en ligne va commencer sur un B 747 de la Compagnie Nationale Air France.

Je profite de l'occasion pour prier les utilisateurs éventuels de ne pas « approuver » mais ne pas « rejeter » non plus a priori ces idées de base. Une période d'accoutumance est nécessaire, il faut attendre son achèvement avant d'émettre un jugement. Pour que le jugement soit valable une condition est indispensable: il faut « jouer le jeu » c'est-à-dire utiliser honnêtement les informations présentées et ne pas se contenter de les observer pendant qu'on pilote... comme avant !
Cette procédure pourrait d'ailleurs être dangereuse.
Il convient également de souligner que les méthodes de pilotage décrites n'interfèrent nullement avec la polémique « pilotage manuel - pilotage automatique ».

Dans le cas de pilotage automatique les systèmes décrits fournissent avant tout des informations de contrôle global immédiat, plus directement assimilables que celles fournies par les instruments de position actuels qui nécessitent une synthèse.

  Par ailleurs il est évident que pendant une période transitoire où des compagnies aériennes vont effectuer des «retrofit» d'avions existants il faudra tolérer, et peut-être même supporter, quelques imperfections inévitables. L'idéal étant évidemment d'introduire ces principes dès la conception de la cabine. 

Malgré des défauts de jeunesse un effort doit être tenté pour l'adoption de ces idées nouvelles car les essais effectués ont montré qu'elles conduisent à une plus grande maîtrise de l'avion.

Ce dernier point, en plus d'être un facteur important de sécurité, représente peut-être également pour beaucoup un des attraits de la profession.